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Etape 8 - Douz / Gafsa
Le final ne pouvait être qu'à la hauteur. Non pas que nous ayons gardé le meilleur pour la fin, mais cette ultime étape de piste réservait une surprise car nous avons emprunté la vraie, l'unique, l'authentique piste de Rommel, pas l'une de celles que les guides locaux font parcourir aux touristes. Non, celle-là, faite de blocs de bétons, formait une piste à chars, et elle a permis aux troupes du Maréchal Rommel de se replier, tout tranquillement, au nez et à la barbe des Alliés qui le croyaient coincé sur cette montagne qu'ils ont bombardée, pour rien, pendant des journées entières, avant de découvrir que l'oiseau s'était envolé. Cette piste est plus ou moins classée top-secret, car les troupes militaires tunisiennes s'en servent régulièrement de terrain d'essai, et quand on a eu la chance de la grimper comme nous l'avons fait, on comprend pourquoi.
Mais ne brûlons pas les étapes. Ce matin, nous sommes partis en bon ordre de Douz, en partie reposés après la journée plus tranquille que nous avons passée hier. Mais, le programme étant chargé, il fallait démarrer assez tôt. Dès potron-minet, quasiment à l'appel du muezzin. Au départ, pas de difficulté majeure, juste un road-book à suivre pour se rendre à un point GPS bien précis, 110 km plus loin. C'est là que nous bifurquons sur la gauche pour emprunter une piste que nous connaissons bien pour l'avoir déjà faite il y a deux ans. Elle est assez roulante, et avec le rythme soutenu que toute la troupe s'est imposée, elle s'avale très vite. Deux petites heures seulement, alors qu'il nous en avait fallu deux fois plus par le passé ! Sans fatiguer les mécaniques, juste en mangeant la poussière de celui qui vous précède, malgré les distances qui s'allongent entre deux véhicules. Pas d'incidents à noter, si ce n'est le tankage d'une 2CV, celle des Lemarchand qui se sont faits piéger par une 4L ensablée devant eux et qui leur a coupé leur élan, sans quoi ils passaient tranquilles. Et une Michelle Conizio qui a décidé de faire comme sa copine de 37 ans, Carméla : un tankage bien profond là où on ne l'attendait pas ! Bref, ce petit moment de poussette a juste permis de se marrer un bon coup, car c'est la dernière fois que l'on verra des autos dans le sable pour cette édition. Ce qui nous attend ensuite, c'est un peu de caillou, de la poussière, et quelques ornières. Au moins jusqu'au pique-nique que nous improvisons à l'entrée de la piste de Redeyef, quelques centaines de mètres avant un petit village. Pour notre part, nous partons en avant, décidés à nous poster au milieu de la piste de Rommel pour photographier tous les participants, et profiter du paysage magnifique qui nous attend.
Trouver l'entrée de la piste n'est pas une mince affaire. C'est grâce à un local que Daniel et Michel, lors des reconnaissances, ont pu s'en approcher, avant de dénicher un passage qui, il faut bien l'avouer, est carrément planqué. Les traces s'évertuent d'ailleurs à brouiller les... pistes ( !). Elles partent un peu dans tous les sens, s'arrêtent brusquement, tournent en boucle ou reviennent en arrière. Sans le road-book et les points GPS, il est impossible de s'y engager. Heureusement, nous avons tout ça et un point de repère imparable, une petite maison adossée à un réservoir d'eau, l'entrée est juste derrière, au sortir de l'oued qui la longe. On laisse la maison à main gauche, on la contourne en partie, et on pique sur la droite, sur l'oued. Pas de trace (nous sommes les premiers à passer), et pas le moindre signe que nous sommes sur le bon chemin avant une première bifurcation, à peine marquée, un Y qui incite à aller tout droit. Mais non, il faut prendre à gauche et se lancer sur de la caillasse peu amène. Les trous sont profonds, les rochers saillants, et on est brinquebalés dans tous les sens. On avance péniblement à 10 km/h, l'œil aux aguets car parfois les pneus n'ont que quelques centimètres pour trouver une place ad-hoc. Au détour d'un virage, ça se complique même car le pont en béton qui a été construit, sans doute par l'équipe du génie de Rommeil, s'est en partie effondré. Des traces, sur la gauche, indiquent qu'il vaut mieux le contourner, ce que nous faisons sans hésiter.
Plus loin, nous retrouvons de la poussière, et, enfin, les premiers blocs de béton. Nous y sommes, la piste de Rommeil grimpe à travers le Djebel, sur une pente qui dépasse souvent les 10%.Dur pour les mécaniques qui vont souffrir, surtout que les lacets sont raides, les Allemands ayant tracé au plus court, faute de temps, et ils ont subi le relief plus qu'ils ne l'ont contraint à suivre leurs desseins. Plus de 60 ans après sa construction, il faut bien avouer qu'elle est dans un triste état. Le béton a parfois totalement disparu, remplacé par d'énormes trous remplis de caillasse dans le meilleur des cas, des plaques entières se sont cassées, les lézardes causant autant de pièges pour les flancs des pneus et la poussière mêlée à la caillasse qui jonchent les plaques survivantes transforment la piste en véritable patinoire par instants. Mais ça en vaut franchement la peine. Dès les premiers hectomètres, le paysage qui se dévoile est tout simplement magique. Derrière nous le désert, devant une montagne qui se découpe, se déchire, se casse, se brise. On sent qu'elle a souffert, qu'elle est née et qu'elle vit dans la douleur, s'arrachant des pans entiers lorsque la douleur est trop violente, une sorte d'auto-amputation. Elle s'accompagne d'une érosion due essentiellement au vent. Entre les pics déchiquetés, un oued tente désespérément de creuser son sillon, mais il peine, disparaît parfois sous terre pour réapparaître quelques dizaines de mètres plus loin, épuisé. On le suit à la trace, grâce aux touffes d'herbeux qui parviennent, grâce à lui, à pousser pour nourrir on ne sait quoi. Nous finissons par nous poster aux deux tiers de la pente, dans un virage en épingle qui nous permet de voir arriver la troupe de très loin.
Elle arrive en petites grappes, comme au ralenti car il est impossible d'acquérir de la vitesse. C'est première-deuxième, au mieux. Avec quelques glissades de pneus qui perdent de l'adhérence sur ce revêtement fuyant et désagrégé. Je vois alors arriver la 2CV de Popineau qui semble peiner un peu plus que les autres. « J'ai perdu la 1re et la marche AR » me lance-t-il en passant, moteur hoquetant car en deuxième, franchir l'épingle c'est sport. D'ailleurs, le virage suivant a raison de son entêtement, il s'y arrête et, de loin, je vois son capot levé. Pas bon signe. Michel part aux nouvelles et revient, pas du tout inquiet. « Il démonte le couvercle de boîte pour régler les fourchettes. Il a, semble-t-il, un peu trop tiré sur la première en bas et il pense qu'il a décalé la fourchette. » J'attends donc tranquillement que tout le groupe passe, les derniers à se jeter dans la pente étant les camions et notamment le gros Mercedes LAF 911 de Jean-Michel Astor, que j'ai le temps de photographier sous tous les angles, tellement il doit passer au ralenti, mais sans faire la moindre manœuvre. Chapeau, Jean-Mi.
Je remonte vers Popineau et le découvre, entouré de l'équipe des camionneurs et Bruno Boussier (d'habitude sur la Colorale de Pérot, mais il a échangé sa place avec Marie-Agnès Popineau pour « voir comme ça fait d'être dans une 2CV Formule 1 ! », en train de lire la revue technique pour comprendre la procédure de réglage des fourchettes. Bon, au début, il se met du mauvais côté de la boîte et ça devient tout de suite beaucoup plus inquiétant. Bruno, lui, s'est placé comme sur le schéma et tout lui paraît limpide. Sauf que, normalement, on fait ça sur l'établi et avec un jeu de cales. Georges Popineau me montre un de ses ongles et se marre : « Ca c'est la cale de 78/100 ! », puis il se touche le bout du nez et assure « au pif, c'est pas mal non plus ! » Quelques réglages et essais plus loin, le bougre a effectivement retrouvé sa première et sa marche AR. Il peut repartir. Nous fermons alors la marche avec les camions, et poursuivons la montée jusqu'au col pour y découvrir des vendeurs de pierres souvenirs et un panneau disant que le parcours que nous venons de faire est interdit aux convois touristiques. « Ah bon ? » Les autochtones sont, il est vrai, assez surpris de nous voir arriver de ce côté-là ! Mais ce qui est fait est fait. Nous avons pris la piste de Rommel, nous pouvons redescendre sur Redeyef le cœur léger. Cette fois, nous retrouvons du goudron et une route très large, qui change de celle que nous connaissions car, il y a deux ans, c'était de la poussière et du caillou, et la Dangel des filles comme on l'avait surnommée avait perdu un moyeu dans un virage qui porte désormais ce nom, le Virage des filles...
Tout en haut, malheureusement, si la vue est superbe sur la vallée et sur le désert, au loin, c'est devenu une décharge à ciel ouvert sur des centaines et des centaines de mètres. Un petit village s'y est même construit à côté pour profiter de la « manne ». Des enfants les fouillent, tandis que quelques adultes y mettent le feu pour faire place « nette ». La dyoxyne doit atteindre ici des taux impressionnants. Et à voir les tonnes d'immondices entassées, on se doute bien que ça ne date pas d'hier et que toute la région vient ici déverser ses ordures. L'odeur est pestilentielle, les mouches omniprésentes, tout comme les biquettes qui éventrent les sacs en plastique... et pourtant c'est à cet endroit bien précis que Popineau décide de s'arrêter à nouveau. « J'ai plus ni deux, ni trois, ni quatre, j'ai dû oublier un truc ! Allez-y, hein, on va se débrouiller, on a l'habitude maintenant... » Nous le laissons avec les biquettes qui veulent absolument manger le sopalin qu'il a étalé par terre pour y poser ses écrous et vis et rondelles, et nous reprenons la route mais nous, nous ne nous trompons pas, nous prenons bien le virage à gauche, un grand nombre de participants ayant filé tout droit, perdant au passage un autre grand moment, la descente sur Redeyev, par la montagne, dans un entrelacs d'éboulis, de pics qu'on dirait montés à la pâte à modeler puis criblés de trous, avant d'être déchiquetés par une gigantesque broyeuse. Par endroits, le sommet se découpe comme un dentier, à d'autres, il ne reste qu'un rocher en équilibre instable, prêt à se jeter sur vous qui passez. Nous rattrapons les motards qui en prennent plein les yeux et stoppent tous les 100 mètres pour prendre un cliché. Puis les Colorale de Thierry et Guillaume, et nous entendons celui-ci prévenir son copain qu'il va s'arrêter pour retirer l'arbre de transmission qui assure la liaison avec le pont AV. « Je vais tout exploser si je ne fais pas ça ! » Nous nous arrêtons avec eux, imités par le Baja d'Eric qui lui, trouve bizarre que son volant ne soit plus très droit. Tandis que Guillaume et Fred retirent l'arbre (5 minutes chrono en main !), nous faisons un rapide check-up du train AV, vérifions les serrages, et Eric décide de repartir, en partie rassuré.
La journée se termine plus tranquillement. Du goudron jusqu'à Gafsa, et l'arrivée à l'hôtel Jugurtha Palace où l'équipe d'assistance est déjà là, mais apparemment sans boulot. « Ben non, y'a pas de panne, y'a bien Maxime Rimlinger qui bricole sur sa 4L, mais il s'en débrouille, je crois que ce sont ses amortisseurs qui sont morts... » Il faudra attendre une bonne heure de plus pour avoir (enfin) un peu d'animation, car Popineau arrive, bon dernier, et il stoppe immédiatement à hauteur de la remorque. « Bon, j'ai perdu et retrouvé plein de vitesses, on a démonté cinq fois et réglé les fourchettes autant de fois, mais là je n'ai plus ni une, ni deux, ni trois, ni marche AR. On a fini en quatrième... » Effectivement, ça fait léger pour rentrer en France. Heureusement, dans le groupe, il y a un magicien, Guillaume. Il pensait pouvoir prendre tranquillement une douche, pas de chance. Mais c'est cependant avec plaisir qu'il a mis le nez, puis les mains dans la boîte et réussi un réglage des fourchettes à l'oreille ! Incroyable. Et Popineau a retrouvé une boîte 4 ! Magique, tout simplement.
Nous pouvions, dès lors, passer aux choses sérieuses, autrement dit l'animation qui s'est petit à petit imposée au fil des jours, menée par David Lemarchand, Pascal Chaintreuil et Jean-Michel Astor. Au début, ils nous faisaient un sketche de cinq minutes, ce soir ils nous feront plus d'une heure à se tordre de rire, tandis que nous prenons l'apéritif autour de la remorque. Ca lancera l'ambiance pour la soirée, clôturée par un feu d'artifices. Manière de signifier que c'est déjà terminé ou presque. Demain, certains, comme moi, rejoindront la France par avion. Les autres remonteront sur Hammamet en passant ou non par Sbeïtla pour y visiter les ruines romaines, avant de reprendre le bateau pour Tunis dimanche matin. Premières embrassades, promesses de retrouvailles prochaines (au Maroc en octobre-novembre ?), petites larmes... Et si on entonnait une dernière fois l'hymne des raids Gazoline, composé par David Lemarchand, sur l'air de la chanson du grand Charles Aznavour, « Emmenez-moi » ?
Emmenez-moi au Raid Gazoline
Emmenez-moi aux dunes de Tataouine
Il me semble que la galère
Serait moins pénible en ancienne :

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