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Adriatica 2 - Etape 05 - Opatija / Plitvice
Je m'étais juré de prendre en flagrant délit de panne Patrick Lheurette et sa 4L. Depuis le départ d'Aix, il marche au rythme soigneusement respecté d'un problème mécanique par jour. Il ne pouvait déroger à la règle, et mes délateurs zélés et consciencieux veillaient à l'encadrer, au cas où je me serais trop éloigné. Bref, dès le départ, je leur ai emboîté le pas, à distance, discrètement. Mimant ici un arrêt photo pour surprendre le vol élégant d'une mouette avec, en arrière-plan, la 4L peinte, il faut le savoir, aux couleurs des frères Marraud, vous savez ceux qui ont fait le Dakar et l'ont remporté dans leur catégorie, avec une 4L... M'arrêtant discrètement dans un virage pour surveiller la progression, au lointain, de la 4L suivie comme son ombre par la Porsche de Flavien (qui m'a discrètement confié les photos du passage en douane avec l'alternateur dans le sac) et par la 4L de Jean Bascunana. Et fonçant, tous pneus hurlant à chaque fois que je la surprenais en train de stopper sur le bord de la route. La première fois, Patrick a imaginé que c'était un hasard. « Tiens, t'es là, toi ? Un souci, non, juste une pause photos... » La deuxième fois, il s'est douté d'un truc, mais il n'a pas osé protester, même lorsque Jean a mimé une panne en soulevant le capot de sa 4L. Mais à partir de la troisième fois, il a compris et il s'est alors évertué à jouer au chat et à la souris. Pas question de se faire prendre. Mais pas question, non plus, de porter seul le chapeau des pannes. Il a, à son tour, délaté ! Et cette fois, c'est Flavien qui trinque. Avec une vitre de porte qui refuse de remonter, sauf la contraindre à la mimine. Ah, ces allemandes, je vous le dis, moi, ce n'est pas très fiable, finalement. Porsche, Mercedes... Il reste heureusement la BMW des Lombart pour relever le gant. C'est d'ailleurs ce qui a conduit Georg Jaster à préférer venir avec une française. « J'ai bien vu que les allemandes, elles tenaient pas le coup dans vos rallyes, alors j'ai choisi une bonne vieille Citroën, une DS. Avec ça, au moins, je ne crains rien. » Vous imaginez bien qu'il a été ovationné après cette déclaration d'amour...

Pas de panne, aujourd'hui ? Ben... oui. A moins que les victimes n'aient choisies de se cacher soigneusement, mais rassurez-vous, je mène l'enquête. Mais ce n'est pas facile, car nos ouailles sont sacrément dispersées aujourd'hui. L'étape était courte (moins de 200 km à 30 ou 50 km près, c'est selon, parce que le road-book était, une fois encore, approximatif, vu que nous n'avions pas pu repérer une partie du parcours), et le but de la manœuvre, c'était de se rendre au plus vite à l'hôtel pour avoir le temps de visiter les 16 lacs et qui se jettent les uns dans les autres en 92 cascades autour de Plitvice. Magnifique spectacle qu'il ne fallait manquer sous aucun prétexte. La route, parfois en reconstruction, était bonne, roulante et la plupart ont pu arriver avant 14h et marcher ensuite entre 4 et 5 heures pour faire le tour, à pied, en grimpettes et descentes sévères ou sur le chemin de rondins, pour voir tout ou partie de cet entrelacs sauvage et parfaitement préservé, malgré la guerre qui est passée par là, entre 1991 et 1995, et dont on voit encore les stigmates. Les maisons grêlées d'impacts de balles sont monnaie courante, tout comme les villages à moitié déserts, abandonnés par des populations parfois déplacées. Nous nous sommes notamment arrêtés dans un de ces petits villages, à 300 m de l'ancienne ligne de front. Les traces sont encore profondes et restent, comme pour témoigner à la face du monde de ce qu'il s'est passé ici, sans que personne, en Europe ne daigne s'en préoccuper avant d'enfin se décider à réagir. Tard, bien trop tard pour éviter le fossé qui demandera sans doute deux générations avant qu'il ne puisse se combler entre des communautés qui peinent aujourd'hui à se parler. Lueur d'espoir, le regard de Dovar, un jeune d'une vingtaine d'années, qui sourit en montrant les impacts de balles et dit que maintenant, « tout est ok ». Et pour le prouver, il sort de son garage la Coccinelle qu'il est en train de restaurer. « Avant, j'avais une 403, mais elle était tellement pourrie en carrosserie que j'ai préféré la revendre pour acheter cette Cox ». C'est un modèle de 1967, qui tourne comme une horloge, et il nous aurait bien suivi Dovar mais sa maman a besoin de lui pour servir à table dans le petit restaurant qu'ils tiennent sur la route de Plitvice. Et dans lequel on sert un goulash exceptionnel.

Journée émotion, donc. Toute en retenue, avec en point d'orgue les lacs de Plitvice qui sont classés au patrimoine de l'Unesco et on comprend pourquoi. On y vient du monde entier pour l'admirer et j'ai croisé un couple d'américains de l'Utah qui emmenaient leur mère, 87 ans, bon pied bon œil à la découverte de la Croatie. Elle a fait tout le parcours à pied, là où beaucoup prennent le bus et le bateau pour gagner du temps et éviter de se fatiguer. Chapeau madame. Au fait, ces américains-là adorent la France, et ils voteront Barack Obama. Ce qui n'étonnera personne, tous les américains en goguette à travers le monde votant pour le progrès et l'ouverture d'esprit... Je vous l'ai dit, aujourd'hui était une journée, comment dire, différente... Allez demain, on repart sur la côte et Sibenik. Promis, je vous raconterai l'histoire du pull perdu-volé d'Huguette, retrouvé dans des circonstances épiques. Mais chut, nous avons prévu un épilogue surprise pour le briefing...
Dernière minute : j'ai parlé un peu vite en parlant de journée sans panne. En passant au camion assistance, j'ai retrouvé un habitué, Joël Brunel qui a, pour la deuxième fois, crevé (décidément les Panhard ce n'est plus ce que c'était). Pas la même roue... « Mouais, je vais peut-être enlever les autocollants Gazoline, se marre-t-il, ils me portent la poisse. En 40 ans de Panhard, c'est la première fois que je crève ! » On va le croire, tiens. Il y avait également Michel Mounier qui, lui aussi, a crevé avec sa Triumph. Bon, c'est rien de grave, et ça maintient l'assistance occupée.

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