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Routes - 03-11 - Marrakech
« Marrakech, c'est l'arnakech, Agadir, rien à dire que la mer, Safi ça suffit, Essaouira etc si ça ira on se reverra, Rabat y'a rien là-bas c'est la capitale... » Abdul, notre chauffeur de taxi, manie la maxime avec humour. On le gardera toute la journée pour visiter Marrakech ou, plus exactement, se laisser guider. Laissés Place de la Liberté par la navette de l'hôtel, par Momo un chauffeur à l'humour décapant (« Ici, ça passe ou ça casse, si ça casse, ça débarrasse ») qui nous explique la manière de conduire autochtone en évitant un quidam : « Oh la la, on raté le méchoui ». Ici, plus que partout ailleurs au Maroc, on pilote au klaxon, le frein c'est pour les lâches et les taxis ont tous les droits, y compris celui d'engueuler tous ceux (piétons, cyclistes, mobylettes, charriottes, moutons,...) qui osent se mettre en travers de leur chemin. La philosophie locale est simple : « tu passes ou tu meurs, inch Allah ». Et Momo d'ajouter en embrassant une des gazelles du groupe : « Allah est grand, Momo profite. » Chaque seconde est ici précieuse, pourvu que l'on soit vivant.
Première étape : les jardins de Majorelle, un célèbre aquarelliste français décédé en 1962 si j'ai bien tout compris des explications du guide. Jardin laissé à l'abandon à sa mort et restauré par Bergé et Yves Saint-Laurent. Superbe, avec une collection de cactus incroyable. Et des milliers d'essence que j'ai rien pigé aux noms scientifiques qu'elles ont. Il paraît juste qu'elles sont tellement rares que les voir réunies en un seul lieu tient du miracle. Je veux bien, j'y pige rien moi aux plantes. Mais le cadre est joli, les filles ont trouvé ça « sublîîîme », ont voulu copier la peinture des murs (un bleu qui porte le nom de l'aquarelliste) et ont soudoyé un peintre pour qu'il donne un coup de pinceau sur une feuille de papier. Ce bleu Majorelle si particulier dont elles achèteront le pigment, quelques heures plus tard, dans une épicerie berbère. On y reviendra. Donc les jardins, c'était chouette, surtout très calme et très frais malgré la foule qui s'y pressait. Des fontaines peintes en bleu Majorelle, des jarres peintes en jaune et vert céladon (vert 4L !), des palmiers hauts comme les twin towers (avant qu'elles ne tombent), un parcours tout en douceur. Non, franchement, c'était sympa.
Il était 13h15. Au café situé dans les jardins, nous retrouvons les Laizin, les Chaintreuil, les Beauvais... Pff, pas facile de passer inaperçus. Ils ont mangé des pennes... Franchement, ça nous fait de la penne ! Manger italien à Marrakech... Nous, on préfère filer sur le centre ville. Le chauffeur nous conduit dans un restaurant « ou tu seras pas déçu, tu comprends si je t'emmène chez les touristes, tu mangeras pas bien, ce sera cher. Là, c'est des amis, tu manges comme à la maison. » On connaît la chanson, mais bon, nous avons faim. L'hôtel Tazi. Accueil « comme à la maison ». « T'est le chef du groupe ? Le chauffeur, c'est un ami, je te fais le prix des amis. Au lieu de 250 dirhams, je te fais le repas à 150. Tu dis rien, les Américains, à côté, ils ont payé 400 dirhams. » On négocie à 100 dirhams des brochettes, un couscous et un tajine poulet citron, le dessert et l'eau. Excellent repas. Y'avait forcément moins cher, mais le lieu était sympa, la musique agréable (on y a même chanté du Rika Zaraï ou un truc qui lui ressemblait, sauf que Isaac s'appelait Mohammed) et on a rigolé en voyant la note que payaient nos voisins. Trois fois le tarif annoncé. Normal, c'étaient des américains. Bien fait pour eux. On ne va quand même pas les plaindre, hein ?
Nous retrouvons nos chauffeurs de taxi préférés pour filer vers la pharmacie berbère. Les gars ont touché leur commission sur notre repas, ils font un peu grise mine. « T'as bien négocié, t'es arabe ou quoi ? » Le doute est permis, j'ai des inscriptions en arabe dans le dos. Ked assouad (le chat noir) et Saïd acheetah (monsieur pluie). Ca l'intrigue. Je lui raconte l'histoire, ça l'amuse. « Alors comme ça t'avais pas la chance, maintenant elle est revenue ? Inch Allah, tu es mon ami. Tope la. » On se tape dans la main. La pharmacienne berbère n'a rien de berbère. Ni d'une pharmacienne. D'ailleurs, ce n'est même pas une pharmacie. C'est un magasin dans lequel on achète tout ce qui provient de la transformation des plantes. Des pigments de peintures (tiens, revoilà notre bleu Majorelle), des huiles essentielles, des huiles tout court, des onguents et même le Viagra berbère. Vous ne connaissez pas ? Dommage, efficacité 100%, il se croque, se suce, se lèche, c'est comme vous le sentez, on le trouve sous toutes ses formes. C'est du gingembre. Rien de moins. Mais c'est plus joli quand ça s'appelle le gingembre berbère, non ?
Nous filons ensuite vers la place Jama Fnaa, le grand piège à touristes. Passage obligé. Calèches, montreurs de serpents, singes, bonneteaux (si ton doigt est pris par la ficelle, t'as gagné un dirham, autrement tu me dois un dirham), vendeurs d'eau (un euro la photo, mais l'eau est gratuite pour les mômes assoiffés),... On évite rapidos pour plonger dans les souks. Notre idée, aller voir les artisans.La face cachée du souk. Pas simple sans passer par les boutiques et les rabatteurs. Nous réussissons à nous éclipser par un interstice entre deux échoppes. A peine un mètre, mais un bruit familier. Celui du marteau martelant du fer blanc. Dans un recoin sombre, éclairé chichement par une ampoule hors d'âge pendue au bout d'un fil élimé, deux hommes tapent de concert. Sol en terre battue, siège réduit à sa plus simple expression (un vague bout de chiffon au bout d'un morceau de bois), un petit marteau, un tas et on frappe des heures durant. Ils réalisent le cerclage d'une jarre ouvragée... A côté, un jeune (à peine 16 ans, découpe du cuir pour réaliser des babouches. Il fait ça à la chaîne. Au ciseau, et avec une dextérité qui suggère une longue habitude. Derrière, à quelques ateliers de là (tous ne font pas plus de deux mètres de large sur trois mètres de profondeur), un jeune. Il a 17 ans et ce qu'il fait nous intrigue. Il baragouine deux mots de français, mais la qualité de son travail est telle que nous avons envie d'en savoir plus. Il s'interrompt, tente d'expliquer, nous de décrypter. Avec les mains, nous finissons par comprendre qu'il fabrique un astrolabe. A la main ! Comme vous ne le savez peut-être pas, un astrolabe permet de se situer par rapport aux étoiles, de déterminer sa position, l'heure en fonction de la position du soleil ou de la lune, de situer les étoiles dans le ciel. Bref, cet instrument sophistiqué, composé d'une dizaine de disques gravés, ce jeune-là le grave à la mimine. En récupérant sa matière première (du plomb, de l'étain) en la troquant : des bracelets, des bagues qu'il fait fondre dans un creuset improvisé. « Tu n'en as pas ? » Non. Je lui donne un euro, désolé de ne pouvoir lui venir en aide. Il hésite à le prendre. Puis finit par accepter : « C'est mon salaire d'une journée» finit-il par lâcher, ému. Son travail, lui, va demander un mois complet. L'intermédiaire pour qui il travaille va le lui acheter une poignée d'euros. Il le revendra à un grossiste qui le remettra sur le marché à 100 euros. Ca s'appelle, partout dans le monde occidental, de l'esclavage. Ici, on trouve ça normal.
Ce n'est pas le pire. Quelques centaines de mètres plus loin, nous pénétrons dans le quartier des ferronniers. C'est encore pire. Age moyen 12 à 15 ans. Les « ouvriers », puisque c'est ainsi qu'on les appelle, sont pieds nus, assis par terre et ils tapent sur des enclumes à longueur de journée. Le geste est répétitif. Momo fait une arabesque, Youssouf retravaille son arrondi, Ahmed la prend et la positionne sur un bâti soudé par Abdullah (il soude avec des lunettes de soleil et un linge sur la tête, juste deux trous pour ses yeux brûlés)... Pour surveiller tout ce petit monde, un jeune, en survêtement ultra-moderne. « Qu'est-ce que tu fais ici ? T'es journaliste, hein ? Tu fais pas de photos, c'est interdit. » Je hausse les épaules, je poursuis ma route et avise un soudeur. Je lui montre l'appareil photo et je lui demande si je peux le prendre en photo. Il ôte ses lunettes, me montre ses yeux à moitié aveugles et me fait signe de vite le prendre en photo. Il prend la pose, actionne la pince à souder. Le jeune en survêtement s'insurge, se précipite. « Photo, dirham. Tu me payes dirhams. » Je hausse à nouveau les épaules, lui montre mon dos et donne dix dirhams au soudeur. « Lui, je le paye, toi tu lui laisses son argent autrement Ked Assouad se rappellera à toi. » Mon aplomb l'interloque. Il me regarde par en dessous et ne dit plus rien. Il nous surveillera cependant tout le temps que nous arpenterons ces ruelles étroites, encombrées de ferrailles et d'ouvriers sans autre statut que celui de main d'œuvre corvéable à merci. Le Maroc se modernise, c'est vrai. L'esclavage recule, c'est également vrai. Mais la vraie face cachée du tourisme et de la délocalisation, c'est ici qu'elle se trouve. Comment croyez-vous pouvoir payer des produits aussi peu chers ? Parce que, derrière, des exploiteurs sans scrupules, considérant la vie humaine comme une marchandise aussi peu ragoûtante qu'un pet de lapin propose aux touristes que nous sommes des produits fabriqués par des mômes dont certains, à 20 ans, seront aveugles ou tellement abîmés par les produits chimiques qu'ils manipulent qu'ils n'auront d'autre choix que de finir mendiants. Pas de sécurité sociale pour eux, ni de retraite. Leur avenir, c'est un trou noir. A l'heure où certains défendent des privilèges dans nos pays occidentaux, et où la délocalisation est tolérée, nos politiques feraient mieux de regarder ce qui se passe devant eux au lieu de mater leur nombril et de s'adresser des satisfecits. Oui, le Maroc va beaucoup mieux. Oui, ce genre de pratiques tend à disparaître mais, alors que le discours officiel tente de faire comprendre que l'alphabétisation permettra, à juste titre, de lutter contre ce fléau, il existe encore des marchands d'esclave, juste sous nos yeux. Tout le monde le sait, mais le touriste s'en fiche pourvu qu'il paye sa babouche 50 dirhams. Et peu lui importe qu'elle ait été faite par des gamins exploités...
Bon, après ce petit coup de grisou, passons à plus léger. Coucou pour Y.V. de la part de Gigi. Ne rien dire à Rico. Je ne veux pas mettre de l'huile sur le feu, mais si j'ai bien tout compris, Gigi donne rendez-vous à ce Y.V. le 17 en salle de roulage, à 5h du mat. Y'aurait-il un message caché derrière ce petit mot doux ? Et Marianne envoie un petit mot à Mumu, « mets ce que tu veux », voilà... Mumu on t'aime, rendez-vous le 17 en salle de roulage. Allez, encore un coucou pour Annick, de Maud et Philippe Roggeband. Tout va bien, pas de panne, on se retrouve tous le 17 en salle de roulage. Je ne sais pas ce que ça va donner, mais la fameuse salle de roulage devrait être pleine...
Une petite dernière pour la route ? Laurent Krier, notre belge préféré, s'est encore distingué. Il voulait absolument photographier sa 203 devant la mosquée de la Koutounia, celle qui domine la place Jama Fnaa. Pas facile, parce qu'il est interdit de stationner devant et que les forces de police surveillent le lieu. Mais il en faut plus pour arrêter notre champion du monde de l'humour et de la débrouille. « Je me suis garé devant, j'ai soulevé le capot et j'ai dit : ‘aïe, je chauffe, faut que je la laisse refroidir'. Du coup, ils m'ont laissé tranquille et j'ai pu faire tranquillement une photo ! »

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