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Piste - 18-10 - Erfoud / Ifri
Dan-tes-que ! Cette dernière journée de piste devait être une promenade de santé ou presque, elle est devenue dantesque. Epique. Hallucinante. Effarante. Grandiose. Digne des plus grands films hollywoodiens en Technicolor. Le scénario a dû être écrit par Cecil B. de Mille, mais les décors n'étaient pas de Roger Hart. Au départ d'Erfoud, c'est pianissimo que les auteurs du drame avaient décidé de débuter leur long-métrage. Petit-déjeuner bucolique au milieu des champs des petits zoziaux. Départ à 10h pour les pistards et à 11h pour les routards, l'essentiel des deux-roues motrices (accompagneront cependant la piste, la 404, la Volvo, la 2CV de Christine et Bertrand et la R4 d'Alex et Francis). Le ciel est bleu, la route est large. Seul petit temps fort des premières minutes (il faut toujours ménager un petit effet pour retenir l'attention du spectateur), la goujaterie d'un participant, Pierre Maquet, propriétaire de la 403 plateau. Ayant mis deux litres d'huile en trop dans son moteur, il avait déjà copieusement marqué sa trace sur les graviers du parking, l'excédent filant par le reniflard. Au petit matin, notre énergumène a donc décidé de vidanger le trop-plein. Et de vider cette huile polluée dans... les amphores qui cernent le parking ! Prévenu, je lui saute sur le râble et lui demande s'il oserait faire la même chose chez lui. « Non ! » me répond-il avec aplomb. Nous frisons le duel, nos yeux se croisent, ferraillent l'espace d'une seconde. Puis il baisse la tête et mea-culpabilise. « C'est pas bien ! » Non, c'est pire que ça, c'est honteux. « Tu vas me nettoyer ça jusqu'à la dernière goutte, qu'il ne reste pas une trace ! » Voilà, ce sont ces comportements que nous n'aimons pas. C'est d'autant plus surprenant que c'est un habitué de l'Afrique et qu'il est toujours prêt à donner des leçons aux autres. Fin du prologue.
Deuxième acte. Le groupe des pistards s'engage sur une piste parfaitement roulante sur une vingtaine de kilomètres. Un mélange de cendrée et de pierrailles sur lequel nous roulons à plus de 50 km/h, sans même fatiguer les mécaniques. Tous les pilotes sont désormais aguerris et ils maîtrisent de mieux en mieux les traîtrises du terrain, ces fameuses saignées qu'ils ont appris à reconnaître, les flaques de sablon qui font glisser le train AR et les pierres qui jaillissent du sol devant les roues. Mais la première difficulté surgit. Un oued « mou » comme dit Daniel. Autrement dit un mélange de sable et de caillou. Les premiers mètres sont fatals aux deux roues motrices qui s'enlisent, faute de n'avoir pu prendre suffisamment d'élan. Il faut les pousser, les tirer, les arracher du sable mais on soupçonne le scénariste du jour d'en avoir rajouté car, dix mètres plus loin, la sortie de l'oued était parfaitement roulante et personne n'aurait dû se faire piéger. Mais ça a le mérite de faire monter la tension .
Troisième acte. Nous arrivons à l'Observatoire des Etoiles, un endroit étonnant, au milieu de nulle part, à une portée de fusil d'un escalier planté en plein milieu de nulle part et dont on affirme que ses marches conduisent au fond de la terre (avec humour, l'un des participants lâche dans la CB : « ce doit être ce qu'on appelle le trou du cul du monde »). Dans chacune des tours, un petit espace a été aménagé avec un siège. Lorsqu'on s'y installe, on lève alors les yeux vers le ciel et par un trou ménagé dans le plafond, on fixe une étoile bien précise, à une date donnée. A quoi cela sert-il ? Nous n'en saurons rien, le lieu étant désert. Mais je ne résiste pas au plaisir d'invoquer les dieux en une homélie enflammée au sommet de la tour, haranguant la foule des participants restée aux pieds. Bras levés vers le ciel, j'implore son aide. Elle ne tarde pas. De loin arrivent de lourds nuages noirs qui fondent sur nous et s'installent au-dessus de nos têtes, déversant de grosses gouttes bien lourdes, froides, annonciatrices du quatrième acte.
Sans plus attendre, nous remontons dans les autos. Il reste près de 40 km à faire et le road-book annonce plusieurs oueds à traverser. Pourvu que la pluie ne dure pas... Notre scénariste ménage alors ses effets. Il nous offre une accalmie. Juste le temps de s'habituer au changement d'adhérence. La piste est devenue boueuse, mais pas encore totalement pourrie . Les ornières ne sont pas creusées et les oueds sont sages. Juste, ici et là, un petit filet d'eau. Le convoi se reforme tranquillement, mais ça ne dure pas. De nouvelles gouttes tombent du ciel et cette fois, elles sont décidées à continuer. Du coup, sur un terrain aussi dur et aussi sec, l'eau ne pénètre pas dans la terre, elle reste à la surface. Une goutte s'étale, va en chercher une autre. Toutes deux courrent après une troisième, une quatrième les rejoint et ainsi de suite. Les gouttes réunies deviennent un mince filet d'eau qui en retrouve un autre pour devenir un petit ru, puis une rivière qui se met à avancer de plus en plus vite et finit par avancer à la vitesse d'un cheval au galop. En moins de dix minutes, un oued à sec se transforme en torrent boueux d'une cinquantaine de centimètres de profondeur. La route devient une suite d'ornières profondes mais il vaut mieux la suivre parce que si l'eau stagne, c'est que l'on a du dur dessous. S'éloigner de la piste, c'est courrir le risque de trouver un terrain devenu brutalement spongieux et de s'y enliser avec peu d'espoir de s'en sortir.
Cinquième acte. Le scénariste a décidé de compliquer le scénario. Il trouve que nous nous en sortons trop bien. Il imagine donc de creuser les ornières davantage. Du coup, lorsqu'on y passe, c'est à mi-moyeu et si on roule trop vite, c'est la tête de Delco qui ramasse l'eau. Moteur calé. Quand elle ne passe pas par l'échappement... Les moteurs se noient les uns après les autres. Il faut tirer de l'ornière (l'expression n'a jamais été plus appropriée) ici une Aro, là une 404, mais ça ne se passe finalement pas si mal que ça. L'auteur en rajoute donc une couche. Il jette en travers de notre progression un oued déchaîné. Il charrie déjà une boue rougeâtre qui file à vive allure. Le courant est fort et il ne faut pas perdre de temps car il enfle quasiment à vue d'œil. Lorsque Daniel le franchit en premier, il fait à peine dix centimètres de large. Lorsque la Fiat Panda 4x4 de Gilles Podevin s'y présente et cale en plein milieu, pour avoir pris trop violemment la vague, il a déjà dépassé le mètre. La colonne est bloquée. Il faut pourtant faire vite. On repousse au plus vite la Fiat et deux 4x4 passent sans encombre. Mais nous décidons de faire franchir, en priorité, les deux roues motrices avant que la situation ne dégénère. L'oued fait désormais deux mètres de large et trente centimètres de profondeur. La 404 qui se présente ne fait pas plus d'un mètre. Elle est arrivée trop vite et a jeté sa calandre en premier dans le flot. Moteur noyé. Ca se présente vraiment de plus en plus mal. L'oued fait trois mètres de large et quarante centimètres de profondeur et il reste trente voitures à passer, plus les camions. Michel Podevin se jette dans l'oued avec son Patrol. Pour l'accrocher, il faut carrément descendre dans l'eau et trouver à tâtons l'accroche. Puis tirer. De l'autre côté, chacun des 4x4 prend en charge une deux-roues motrices. Plus question de prendre le moindre risque. L'oued fait cinq mètres de large et cinquante centimètres de profondeur. A la queue leu leu, les véhicules passent les uns après les autres, sans perdre une seconde. Mais il faut dix minutes pour que tout le monde parvienne à passer l'obstacle. L'oued fait désormais huit mètres de large et 60 centimètres de fond. Les camions passent à leur tour. Ouf ! Derrière nous, l'oued continue de grossir...
Du ciel, l'eau dégouline avec force. Entre les ornières qui lessivent le pare-brise et les gouttes qui viennent le frapper, on n'y voit pas grand-chose, mais il faut malgré tout continuer à avancer. Car il reste encore des kilomètres et surtout un oued que Daniel nous annonce encore plus difficile à passer. Le convoi ne chôme donc pas et seul un incident d'allumage sur la 2CV Voisin la rettarde cinq minutes, le temps de sécher l'allumeur et de repartir. Boue, ornières, on commence à s'habituer. Enfin, voilà le dernier oued. Et notre scénariste ménage un nouvel effet. Il stoppe carrément la pluie à cent mètres de l'objectif et nous offre un oued... à sec ! L'Afrique réserve décidément d'étonnantes surprises. Il pleut partout autour, mais cet oued-la a été oublié. Ouf... Personne ne se plaint même si l'on entend des plaisanteries à la CB, genre « la météo marine prévoit une mer calme à peu agitée », « qui a les horaires des marées ? » La suite est plus soft. Roulante. La boue soulevée lors des passages des ornières se limite à blacksonner les dessous. Il ne pleut plus, c'est déjà ça.
Il est déjà deux heures de l'après-midi. Quatre heures pour faire 60 km ! Pas mal comme moyenne sur ce genre de terrain. Nous passons une oasis, puis un ancien village avant de retrouver la civilisation au sein d'un petit village. Sur le pas des portes, nous sommes le spectacle. Les enfants sortent en réclamant leurs « stylous », les filles nous lancent de beaux sourires et nous font signe de la main, les anciens nous saluent d'un signe de tête... Nous poursuivons notre route mais comme il fait faim, certains décident de rester là pour manger mais également pour regonfler les pneus. Les enfants ne tardent pas à débouler, à pied ou en vélo. Ils sont souriants, nous sommes tous décontractés et nous rigolons avec eux. D'autant que Robert Durang a ressorti son masque qui fait peur. Ca rigole et comme nous avons beaucoup de pain, d'eau et de saladettes dans le camion Gégé le breton et Abdel décident d'organiser le partage. Abdel parlant arabe, il explique aux enfants qu'ils doivent se mettre en rang, comme à l'école, pour recevoir leur part. Pour une fois, il n'y aura ni pagaille, ni bagarre. La distribution se fera dans la bonne humeur et beaucoup d'enfants accepteront de se faire en photo pour le plaisir de se regarder dans la « petite lucarne ». Magique.
Nous quittons l'endroit à regrets, avec de beaux gestes, la main sur le cœur. Tout au long des 60 kilomètres de goudron qui nous mènent à Jurassique, dans la vallée du Ziz, nous garderons ce souvenir ému et c'est dans un état quasi second que nous arrivons enfin... L'étape a été belle, magnifique, dure, dantesque, mais émotionnellement très forte. Sans doute la plus belle. En tout cas, la plus inattendue. Et notre groupe est désormais soudé comme jamais. Les tensions ont toutes été oubliées. Les sourires sur les visages fatigués de tous les participants en témoignent. C'est notre plus belle récompense. Demain devrait être une journée tranquille. Mais ne jurons plus de rien. Le scénariste imaginatif qui œuvre à nous concocter un film oscarisable n'en a sans doute pas encore terminé avec nous. Tant mieux. L'aventure, on l'a eue. Au-delà de tout ce qu'on espérait... Fin de l'épisode... PS : Khalifa, la nièce de Zaïd, adresse un amical bonjour à Laetitia et Emilie avec qui elle correspond depuis notre précédent passage à Jurassique. J'en ai profité pour lui demander d'inscrire, sur mon gilet rouge, un nouveau nom, celui que l'on va devoir me donner désormais : Saïd Achetae (Monsieur Pluie). Déjà que l'on avait écrit Ket Alassoid (Le chat noir) et que ça fait beaucoup causer dans mon dos,...

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