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Piste - 16-10 - Erg Lihoudi / Merzouga
Avant tout une bonne nouvelle. Nos naufragés du désert sont sains et saufs. Dès l'aube, le Moll et le Discovery de Jean-Pierre sont partis les retrouver. Ils sont fatigués (apparemment, la nuit a été animée) mais heureux comme des papes. La soirée a été épique. Passée la panique des premières minutes et la déception, Didier a sorti une bouteille de Martini, Florian une bouteille de Ricard et « nous nous sommes torchés ». Didier ayant encore un peu de batterie, il a branché sa musique et une partie de la soirée a été passée à danser sur des airs de Joe Dassin. Ils ont ensuite planté leurs tentes, mais si Vincent a dormi dans la 404, Florian a préféré la tente. Problème : elle était stockée dans le coffre qui pue le gas-oil. Résultat, au petit matin, il avait une double barre. Le mélange du gas-oil et du Ricard n'a pas fait bon ménage dans ses neurones. Et lorsque nos sauveteurs sont arrivés à 8h du matin, avec le petit déjeuner (« ils ont déployé la table, fait du vrai café et nous ont même beurré les tartines ! »), il avait bien du mal à garder sa tête sur les épaules. Tout est bien qui finit bien d'autant que la Rodéo a repris la route, après un passage chez Momo à Zagora où on lui a changé la barre de torsion cassée. Didier, Yvette, Florian et Vincent ont en effet retrouvé à Zagora leurs copains Jean-Christophe, Flavien, Rémi et Christian qui avaient pu récupérer une barre d'occasion. Momo et ses mécanos n'ont d'ailleurs pas chômé parce qu'ils ont parachevé la reconstruction (le mot n'est pas trop fort) des bras de suspension AR de la Rodéo de Rémi qui devrait pouvoir reprendre la route demain (pas la piste, c'est terminé pour cette auto), réparé leurs bêtises sur la Rodéo de Jean-Claude Deparrois... Momo nous adore, nous un peu moins parce qu'il a quand même vendu des pièces de m... à certains concurrents, la veille au soir. Notamment à la 505 Dangel qui avait un problème de direction assistée. Mais c'est comme ça en Afrique. Le service rendu n'est pas toujours à la hauteur mais le but c'est toujours de pouvoir repartir et quand on revient chez lui, Momo se confond en excuses, invoque quarante-trois générations de bons et loyaux services rendus au monde entier, implore votre pardon quasiment à genoux et vous ne pouvez rien faire d'autre que de lui dire que ce n'est pas grave, pourvu qu'il répare gratis. Ce qu'il fait bien volontiers.
Après la soirée quelque peu houleuse de la veille au soir, nous attendions avec sérénité le réveil au petit matin dans le bivouac d'Erg Lihoudi. La nuit a manifestement porté conseil et le paysage découvert est tellement superbe qu'il a permis aux grognons de faire la part des choses. Du coup, beaucoup veulent faire la piste que nous avons au programme. Mais nous avons décidé de rester intransigeants et de ne pas prendre le plus petit risque. Pas de deux roues motrices aujourd'hui. Que des purs 4x4 et encore, pas tous. Juste 15. Encadrés par la Gégémobile, François et le toubib, Michel Podevin et Yves et Daniel. Tout le reste du groupe partira par la route pour rejoindre d'abord Zagora, comme nous, avant de bifurquer vers Aïnif et Merzouga, pour arriver à notre campement préféré, celui de Tombouctou, au pied des dunes.
Etrangement (est-ce le coup de gueule de la veille ?), tout le monde écoute nos conseils ce matin et ça ne bougonne plus. Recadrer les choses a parfois du bon lorsque certains esprits chagrins tentent de semer la zizanie. Oui, c'est un rallye-raid. Non, ce n'est pas une promenade ! Oui, il fallait préparer sa voiture et le conducteur à ce genre de découverte. Non, l'incompétence des pilotes ne peut pas être de notre fait. Bref, lorsqu'on demande à tous de regonfler les pneus dégonflés, pour certains, dix mètres avant le bivouac la veille au soir, alors qu'on le leur demandait depuis le matin ( !), tout le monde s'exécute. Comme beaucoup n'ont pas pris de gonfleur, on les aide. C'est le début de l'apprentissage de l'entraide... Pas si mal, finalement, de recadrer les esprits.
Les heureux élus de la piste se regroupent avant Zagora. Les Leturnier ont quelques soucis avec leur carburation, mais ils assurent pouvoir réparer rapidos. Nous laissons donc François avec eux pour qu'il les ramène rapidement dans le troupeau. Yves prend la tête du convoi et nous nous positionnons dans les derniers, suffisamment loin pour ne pas manger leur poussière et prendre du plaisir à naviguer au cap. Les 15 premiers kilomètres sont très roulants. On mange de la poussière, de la poussière, rien que de la poussière. La piste, fort heureusement, se sépare régulièrement et nous pouvons nous décaler pour respirer. Mais ça ne dure pas. Nous arrivons dans la montagne, ou plus exactement, dans un passage entre deux montagnes et là, nous retrouvons du caillou. Dur, âpre, acéré comme des lames de rasoir. Le rythme tombe immédiatement et nous devons faire attention. Nous avons ainsi une grosse dizaine de kilomètres à apprivoiser. Elle va nous prendre pratiquement une heure. Les autos tanguent, sautent, brinquebalent, dansent la Saint-Guy. Les os se mélangent, retrouvent leur place (on espère qu'ils sont tous revenus), que du bonheur. Nous devons être masos, parce que, lorsque la piste retrouve une douceur toute relative, nous sommes presque déçus. Un peu de sablon pour s'offrir des glissades et ensuite de la cendrée, au milieu d'un paysage lunaire. Des pierres noires découpées avec une diabolique précision. Parfois entassées les unes sur les autres, comme pour dessiner d'improbables murailles entre le néant et le vide. Ici et là, une chiche plante tente de percer pour trouver la lumière. Plus surprenant, de nulle part surgissent des enfants dépenaillés qui brandissent des poupées de chiffons ou des ceintures berbères superbement travaillées. La pauvreté est ici manifeste et nous nous arrêtons souvent pour troquer ces babioles contre de la nourriture, des vêtements et des dirhams. Leur sourire est une véritable récompense et nous arrivons même à échanger quelques mots, ou plutôt quelques gestes de sympathie. La main sur le cœur, un baiser envoyé par la main d'une petite fille au regard noir et profond. Ces instants sont précieux, nous les savourons et c'est avec un énorme sourire accroché à nos lèvres que nous poursuivons notre route. La Wrangler de Christian Pain profite malencontreusement de ce moment pour ratatouiller. « On m'a mis trois litres de gas-oil à la station-service avant que j'ai eu le temps de dire ‘ouf ‘ ». Il faudra finalement vidanger, au moment du repas, pour qu'il puisse repartir sans souci.
La piste qui suit est beaucoup plus roulante. Une cendrée comme on les aime. Large, roulante. On peut laisser les mécaniques s'y exprimer avec délices. Tout en gardant un œil sur le cap. Tout se fait à la navigation car les tracés sont fluctuants. Ils apparaissent, se perdent entre deux arbres, reviennent derrière une butte. De l'œil, il faut surveiller le terrain. Trois arbres dans le même alignement perpendiculaire à la piste trahissent la présence d'un creux (l'eau s'y accumule et la vie peut naître, d'où ces arbres). Gégé pilote avec délicatesse. Le regard toujours loin pour anticiper au maximum. Les traversées de village sont délicates, car les enfants accourrent de partout pour réclamer les traditionnels « stylos ». Impossible de s'arrêter dans ces villages sans déclencher de minis émeutes. Un sourire, une main tendue, une claque dans la main au passage... suffisent.
Au passage, nous croisons quelques concurrents du Rallye des Roses des sables. Plantés au milieu de rien, road-book en main, cherchant le pointage. Nous le trouvons avant eux et faisons mine de nous arrêter pour signer la feuille. Les contrôleurs se marrent. Nous poursuivons à fond sur une piste très roulante avant de retrouver du caillou et... l'autoroute. Après Oum'Jrane, la piste est en effet en passe d'être goudronnée. Les travaux sont impressionnants mais il reste encore beaucoup à faire. Cela dit, au Maroc, tout va très très vite depuis que le roi a décidé de s'occuper du sud, oublié pendant des décennies. Une piste impraticable la veille peut se transformer en autoroute le lendemain... N'y manquera que le péage. Ce bouleversement des habitudes va beaucoup changer la physionomie du sud et surtout la mentalité. Les gamins qui nous regardent passer, curieux, vont voir défiler de plus en plus de monde. Et l'électricité qui arrive en même temps que les routes va les ouvrir à d'autres tentations. Le « Nama stylou » se transformera sans doute en « Nama portable ».
Avant de retrouver le goudron, vers Rissani, nous procédons à un ultime regroupement. Une horde de gamins nous entoure aussitôt et se marrent. Dans mon dos, le « Chat noir » écrit en arabe les interpèle et il me faut leur raconter l'histoire. Ils me proposent un chat noir, on palabre, en se tapant dans la main. Ambiance sympa. Je repartirai sans le chat, problème de douane, toujours...
Nous filons sur Mcissi lorsque mon portable m'annonce que j'ai plusieurs essages. Jusqu'ici, nous étions hors zone. Le premier confirme que nos naufragés du désert vont bien et que leur auto est quasiment réparée. Le second est plus inquiétant. Dany Wahl nous signale que l'auto de Gilles et Cathy Podevin a heurté un gamin dans un petit village. Il a traversé devant leur Panda et ils n'ont rien pu faire pour l'éviter. L'enfant n'a que de petites égratignures, mais les parents veulent de l'argent. Que faire ? Nous décidons de rebrousser chemin pour discuter. De leur côté, ils sont rejoints par Jean-Claude Gillonier et Patrick Bance qui jouent les intermédiaires et font comprendre aux parents qu'on peut soigner l'enfant (nous avons une assistance médicale) mais qu'il faut appeler la Gendarmerie Royale. Ils ajoutent que leur chef arrive. Du coup, avec Daniel, nous sautons dans la Gégémobile et entraînons le médecin à notre suite. Nous n'aurons pas besoin d'aller jusqu'au bout, le chef du village faisant comprendre aux parents qu'il ne sert à rien d'aller plus loin. Tout le monde peut repartir, les trois égratignures du gamin étant soignées par Cathy Podevin.
Ouf ! Lorsque nous rejoignons enfin le bivouac Tombouctou à Merzouga, il fait nuit noire. La plupart des participants ont déjà rejoint leur tente, pris leur douche et sirotent un apéro au bar. Il nous reste encore à organiser le retour de nos rescapés d'hier. Ils n'ont pas de road-book pour s'y retrouver. François va donc jouer les Saint-Bernard pour les guider sur les derniers kilomètres. Il est près de 22h lorsqu'Yvette et Didier arrivent enfin. Fatigués mais heureux. « On a passé une nuit inoubliable » sourit Yvette qui semble bien décidée à remettre ça. L'an dernier, Didier l'a perdue une demie heure dans le désert. Cette année, c'est une nuit entière qu'ils ont passée dans le Sahara. L'année prochaine, une semaine ? Nos jeunes de la 404 sont rentrés plus tôt , Pierre Maquet et Alain Mamou (403), Jean-Claude Deparrois (Rodéo) et Rémi et Christian (la fameuse Rodéo avec son châssis faussé) sont rentré. Toutes les autos sont réparées et demain matin, nous repartons au complet. Elle est pas belle la vie ? Petit aparté : ce genre de rallye est aussi et surtout fait pour faire des rencontres. Ce soir, tandis que je travaillais à vous raconter par le menu nos aventures, j'ai longuement discuté avec un des serveurs, Mustapha. Figurez-vous qu'il a étudié la littérature arabe et qu'il voulait suivre des cours à Paris VIII. Des cours d'hébreu pour lesquels il avait obtenu une bourse en 2003. Mais à la suite d'attentats islamistes, son visa a été suspendu, comme ceux de beaucoup d'étudiants arabes. Il n'en garde pas d'amertume, mais le sentiment d'un immense gâchis. Il s'est donc reconverti dans l'hôtellerie mais il m'a appris quelques beaux mots d'arabe et les différences subtiles qui peuvent, d'un mot, en imaginer un autre...

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