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Jour 15 - Casablanca

Il flotte déjà comme un parfum de nostalgie. Le voyage touche à sa fin. Je repars ce soir en avion, le reste du groupe embarque demain à Tanger. Les gestes et les regards sont différents au petit matin. On sent comme une hésitation à en terminer. Déjà ou enfin. Parce qu’on est toujours partagé entre le plaisir de savoir que l’on va retrouver les siens, ses habitudes, ses rituels, son petit cocon et la tristesse de quitter cette grande famille que nous sommes devenus au fil des ans. Vingt ans, le temps d’une génération. Bien assez pour être un peu plus que des amis, à avoir partagé autant de moments forts à travers l’Europe et dans cette Afrique, qu’elle soit du Sud ou du Nord, qui dégage un parfum à nul autre pareil. Est-ce parce qu’elle est le berceau de notre humanité et que nous y retrouvons, un peu, de la matière qui nous a façonnées au fil des millénaires ? J’aime à le croire. Tout comme j’aime à penser qu’ici est née et s’est développée une civilisation qui nous a amenés tant et tant que nous lui sommes redevables à jamais. Pas seulement les mathématiques et la philosophie, l’architecture ou la médecine, pas uniquement les techniques d’irrigation ou l’art de nourrir la terre, mais ce mysticisme et des croyances qui ont nourri nos civilisations occidentales, jusqu’à les imprégner d’une manière indélébile. Nous partageons bien plus que certains esprits obtus ne veulent bien le reconnaître. Mais ceci est une autre histoire, et ce matin, elle est bien loin de nos préoccupations.

Maroc 2025

Benoît remplace le calculateur du Rancho.

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Poignée de main entre Patrick et Marc, le sauveur !

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Pendant ce temps, Didier resserre le roulement de roue de la Lotus de Guy.

Ce matin, Patrick a de nouveau le sourire. Ce n’était pas gagné. Hier, il a terminé l’étape sur le plateau. Plus d’allumage. Il venait de faire laver sa Matra Rancho pour lui redonner fière allure. Et plus rien. « Tu vois, a dit Martine. Je t’avais dit d’attendre. Maintenant, elle roule plus… » La coïncidence pouvait, en effet, prêter à une conclusion aussi hâtive qu’injuste. Car l’eau et le nettoyage à basse pression n’avaient rien à voir dans la panne. C’est tout simplement le calculateur qui a décidé de se mettre en vacances. Par chance, il y a une deuxième Rancho dans le groupe (il devait y en avoir quatre si vous vous souvenez bien…) et Marc, son propriétaire, est du genre prudent. Dans son immense coffre (c’est l’avantage de ce genre d’auto), il a amené deux calculateurs de rechange, au cas où, mais également deux allumeurs. « On n’est jamais assez prévoyant. En 20 ans de rallye, j’en ai tellement vécu !... » Du coup, la réparation s’est faite en deux temps et trois mouvements. « Tu vois, l’eau n’avait rien à y voir ! » a fait Patrick. Martine a haussé les épaules. « Peut-être, mais tu l’as quand même lavée et elle ne marchait plus… » Patrick n’a pas insisté. Nos femmes ont toujours raison, vous n’êtes pas d’accord ?

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Martial et Chantal ont préféré visiter le musée de l’automobile de Casablanca. Ils nous en livrent quelques images. D’autres ont fait les casses. À chacun son petit plaisir.

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Du coup, tandis que certains préféraient aller visiter la ferraille locale ou le musée de l’automobile (c’est presque obsessionnel, il faudrait un jour que l’on diligente une étude sur les dégâts que provoque cette passion monomaniaque — l’automobile — sur nos cerveaux, je suis sûr qu’elle livrerait des résultats stupéfiants), Patrick et beaucoup d’autres ont filé visiter la mosquée Hassan II. Il faut dire que c’est quelque chose. La cathédrale Notre-Dame locale, en quelque sorte. Avec la même démesure, la même débauche d’énergie, mais seulement sept ans pour la construire, là où notre beau monument parisien a demandé plus d’un siècle ! Elle a, un temps, été la mosquée la plus grande au monde, jusqu’à ce que les Algériens, vexés, n’en édifient une de 30 % plus grande mais face à la Méditerranée, pas face à l’Atlantique, et vous avouerez que ça a moins de gueule, la fureur d’un océan face à la nonchalance d’une mer. Bref, c’est une œuvre gigantesque, une prouesse technologique (c’est Bouygues qui en a été l’artisan), et une nouvelle preuve que la religion est capable de déplacer des montagnes quand il s’agit de bâtir des monuments à sa gloire. Parce qu’au-delà des mots et des superlatifs, c’est bien de cela qu’il s’agit et j’ai toujours trouvé ce paradoxe intéressant, surtout dans un islam qui refuse toute représentation du Très Miséricordieux et toute ostentation dans la vêture de ses ulémas, imams et autres dépositaires de la parole du Prophète. Mais voilà, ici, on ne s’est rien refusé. Marbre de Carrare, portes en… titane (pour limiter la corrosion par les embruns marins), plafonds en bois de cèdre (venu de tout le Maroc), toit ouvrant, etc. Plus, encore plus, toujours plus. Alors oui, c’est beau. Oui, ça en met plein les yeux. Oui, on peut accueillir 25 000 fidèles à l’intérieur pour la prière et 80 000 autres sur l’immense parvis. Oui, hommes et femmes prient dans la même pièce (mais les femmes à l’étage, cachées par des moucharabiehs, il ne faut tout de même pas exagérer). Oui, des symboles rappellent que l’islam, à l’origine, n’imposait à personne sa foi, à condition que les peuples conquis soient eux-mêmes monothéistes et relèvent d’un livre sacré comme le judaïsme, le christianisme et le mazdéisme (après tout, les trois religions principales se revendiquent d’Abraham). Oui, on prêche ici la tolérance. Pourtant, je ne peux m’empêcher de me demander si le Prophète aurait aimé cette ostentation alors que le pays manquait (et manque toujours) d’hôpitaux, d’écoles, d’eau potable. 

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Sur l’esplanade dominée par le minaret, une pose pour la gloire !

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Quelques images de la mosquée Hassan II.

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Mon chauffeur de taxi du jour s’appelle Said. Il est père de deux enfants et tire le diable par la queue tous les jours, « du matin au soir et parfois même du soir au matin ». Il se souvient parfaitement de la construction de la mosquée, dont le roi disait qu’il la voulait « pour le peuple et par le peuple ». « Je n’y suis allé qu’une fois, mais mon père jamais. Alors que, pendant onze ans, on prélevait sur le peu qu’il gagnait un impôt spécial pour bâtir la mosquée. Onze ans ! » Un silence, puis un sourire, tandis qu’il pianote sur son téléphone à l’écran si sombre et zébré que je me demande comment il distingue quelque chose. « C’est beau, il faut le reconnaître. Mais ce qui est beau ne te nourrit pas. » Said est cependant optimiste. Comme mon chauffeur de Meknès, il parle du temps qui passe et de celui qui va arriver. « Bientôt, tu verras mon ami. Bientôt… » Il ne s’étend pas sur son énigmatique prophétie. Mais je devine en filigrane l’espérance de toute une génération qui parie sur la Coupe du monde qui lui a été imposée pour obtenir un peu de tout ce qu’on lui a refusé jusqu’ici. Parce que le makhzen (on désigne ainsi l’Etat et ses agents alors qu’à l’origine un makhzen est un magasin de stockage de céréales destiné à assurer le ravitaillement des populations en cas de sécheresse ou de disette) devra lâcher du lest pour éviter d’éventuelles manifestations. Et peu importe qui sera alors roi, l’actuel, très malade, ou son jeune fils, Hassan, appelé à lui succéder.

En vingt ans, nous avons pu mesurer combien le Maroc changeait. Alors, oui, j’aime l’idée que le futur ce ce pays auquel nous sommes tous si attachés et qui nous accueille aussi chaleureusement, que ce futur sera meilleur. C’est ce que je lui souhaite, parce que je l’aime ce Maroc aux paysages envoûtants et aux sourires si bienveillants qui te reçoit comme un frère et se comporte comme tel. Ya habibi Morocco !

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J’allais oublier. On ne se quitte jamais sans une soirée festive. Je vous fais grâce des images qui doivent rester à Casablanca. Ce qui s’y est passé doit y rester, je vous l’assure.


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