Il se passe vraiment des trucs étranges dans ce rallye. Hier au soir, j'ai surpris Jean-Louis Vanel en train de recoller la semelle de ses chaussures, manifestement usées par les pas qui leur ont été imposées ces deux dernières semaines. L'usure, bien que je doute qu'elles aient été neuves au départ... Un peu plus loin, c'est Phiphi qui, armé d'un cutter, coupait la courroie d'entraînement de son compresseur de clim. Ce qui a provoqué quelques quolibets forcément moqueurs, du style "Bah, une clim dans une décapotable, c'est comme pisser dans un violon, ça fait du bien sur le moment mais ça ne fait pas jouer l'instrument plus juste", "Si t'as toujours le bruit, tu peux toujours en couper d'autres, j'en vois deux qui ne demandent que ça", "C'est marrant ton truc, une courroie trapézoïdale crantée montée dans l'autre sens", "Quel autre sens ?" "A l'envers si tu préfères, les crans à l'extérieur, tu vois ?" Des jaloux, moi je dis.
Réparation, à l'africaine, d'une chaussure !
Et paf, la courroie !
Ce matin, c'est plutôt la fatigue qui se lisait sur bon nombre de visages. Les bonnes intentions de la veille se sont quelque peu effacées devant la dure réalité du parcours. Peu de kilomètres, mais des options à géométrie variable qui permettaient d'en faire beaucoup ou très peu. Il en est donc qui n'ont pas traîné en route, car en partant dans les derniers, ils étaient à l'hôtel dans les premières positions, histoire de se reposer. J'avoue que les monastères avaient de quoi user, avec leurs marches à gravir pour atteindre le paradis, lequel n'en est vraiment un que pour les orthodoxes, soit dit en passant. Alors, ce matin, ceux qui voulaient profiter de la matinée ensoleillée mais pas trop chaude pour monter au Grand Météore, ils étaient nettement moins nombreux que ceux qui s'étaient déclarés enthousiastes, la veille, à entamer une telle expédition. Il paraît que c'était pourtant "génial, mais bon, un peu pareil que hier, c'est encore des vieilles pierres, des popes et des nonnes, des croix, des icônes, des lieux de prière et une boutique". De quoi conforter les renonciateurs dans leur choix matinal. Une grande majorité a donc préféré filer sur Metsovo et se balader dans ses vieilles ruelles pour acheter quelques babioles "artisanales", pour la plupart made in China, comme les cannes que l'on peut voir dans le monde entier, le plus souvent présentées comme de l'artisanat local !
Les cannes à tête de chien,... made in China.
Quel étrange mimétisme, vous ne trouvez pas ?
Les boutiques de souvenir sont légion à Metsovo.
On pouvait choisir une autre option, à mon sens tout aussi intéressante, en tout cas peu banale : emprunter ce que j'ai appelé pompeusement "La route des ponts Byzantins" qui serpente entre les gorges du Vikos. Ces ouvrages d'arts, érigés au XVe siècle, permettaient aux bergers Valaques de guider leurs troupeaux lors des transhumances. Ils sont étonnamment bien conservés et comportent de une à trois arches enjambant bien souvent des rivières asséchées et qui ne daignent se remplir qu'au printemps. Et encore. Les interminables lacets ont découragé les moins motivés qui se sont contentés d'un ou deux ponts avant de faire demi tour. Les autres sont ravis et rapportent une belle collection de ponts, dont certains que je n'avais pas indiqué mais qu'ils ont malgré tout trouvé.
Hubert et son Autobianchi étaient bien tentés par la traversée d'un pont byzantin !
Trois arches pour ce pont, l'un des plus longs.
Restait une troisième option : rallier Ioannina pour en visiter la vieille ville mais aussi et surtout aller déguster, sur l'île qui se trouve sur le lac Pamvotida, des cuisses de grenouille. Il fut un temps où cette région fournissait à la France près de 80 % de ces précieux batraciens. Ce n'est manifestement plus tellement le cas puisque j'ai appris avec effarement que les cuisses que l'on déguste ici en beignets sont toutes congelées et viennent de... Turquie ou d'Amérique du Sud ! On n'entend d'ailleurs plus un seul coassement dans les hautes herbes qui bordent le lac. Tout se perd mon bon monsieur, mais si certains restaurants reconnaissent qu'elles ne sont plus d'ici, d'autres continuent de faire croire aux touristes qu'elles sont pêchées dans le lac et fraîches de la veille. Business is business. Cela dit, nous en avons mangé, et elles étaient bonnes, et même si le cadre y a sans doute fait pour beaucoup, on ne les regrette pas...
De petits bateaux font la navette pour aller sur l'île du lac Pamvotida.
Là encore, les habitants ont été remplacés par les marchands du Temple qui vendent des souvenirs...
Icônes dans la petite chapelle de l'ancien monastère.
Quelques pièces d'orfèvrerie datant du XIXe siècle.
Tant que nous étions sur l'île, nous en avons profité pour faire un tour à l'ancien monastère de Saint-Panteleimon qu'Ali Pasha avait transformé en une résidence secondaire. C'est, aujourd'hui, un petit musée qui conte la période durant laquelle cet Ali Pasha (1750-1822) a tenté de s'émanciper de la tutelle ottomane, lui l'Albanais tombé amoureux de l'Epire qui régnait par la terreur, commettant d'ignobles crimes qu'il avait tendance à exagérer et à s'attribuer sans vergogne pour accroître la peur qu'il suscitait. Alexandre Dumas a repris ces histoires pour sa collection de nouvelles Les Crimes célèbres et Victor Hugo en a fait de même dans Les Orientales. La fin d'Ali Pasha (il a été assassiné) apparaît aussi de façon romancée dans Le Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas. Bref, un petit moment d'histoire que l'on aurait aimé entendre en anglais, à tout le moins, et pas seulement en grec. C'est marrant, mais j'ai le sentiment que nous sortirons tous de ce rallye un peu plus cultivés qu'au départ, tellement nous en avons appris. Les voyages ne forment donc pas que la jeunesse, si vous voyez ce que je veux dire !