Journée libre ne rime pas forcément avec farniente. Nous en avons eu une nouvelle preuve. Pourtant, tout se présentait pour le mieux. Il faisait beau sur Tirana, Yannick et Didier avaient remonté le radiateur de la Châtelaine en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, véritables jumeaux de la clé de Thérèse se comprenant à demi-mot pour économiser leurs gestes et ne faire que dans l'utile. Je vous assure qu'une telle complicité, c'est beau à voir. Ça touche même parfois à du ballet réglé au millimètre et il n'y manquait que le son pour rendre la scène encore plus forte. Dans le même temps, la DS des Chaboche était prise en charge par leur assurance rapatriement, avec une diligence qui forçait le respect, et même Didier Dutilloy avait reçu par UPS le joint de culasse de sa MGB (au cas où, en cas que...) à l'hôtel. Bref tout le monde était détendu du genou. D'autant que Bérenger, la veille, avait proposé de conduire ceux qui le souhaitaient au centre-ville pour visiter Tirana, la circulation étant ce qu'il est convenu d'appeler une foire d'empoigne. Je passe, non je passe, je t'assure, je passe, voilà je suis passé et tu as bien fait de freiner. Tout ça avec le sourire, et en se regardant dans le blanc des yeux. De plus, le trafic étant ce qu'il est, on ne compte pas en kilomètres, mais en minutes, voire en heures le moindre des déplacements. A pied, il fallait une petite heure pour rallier le centre-ville. En taxi entre 25 et 40 minutes. Vous voyez le genre.
Des images comme celles-ci, on en voit partout dans Tirana. Elles adoucissent la tristesse de bâtiments bien décrépis...
Le duo de choc : Didier et Yannick, à l'œuvre dès potron-minet.
Or donc, Bérenger avait imaginé affréter un autobus. C'était tentant, avouez... Il y avait donc 36 volontaires pour cette visite les doigts de pieds en éventail. Il pouvait même, si le cœur en disait, organiser un déjeuner dans un restaurant typique. Avec, en prime, la perspective de pouvoir picoler, vu que l'on ne reprenait pas les automobiles pour rouler (ici, en Albanie, comme en Macédoine du Nord, c'est tolérance zéro alcool !). Le fameux autobus devait prendre tout son monde à 10h30 ce qui, je vous l'avoue, était sans doute un peu tard, mais bon, Bérenger nous la fait à l'Albanaise : il n'y a jamais de problème, que des solutions, ne t'inquiètes pas, ça va forcément le faire, ça le fait toujours, ne stresse pas, tu n'iras pas plus vite, l'heure importe peu c'est le but qui compte, on verra bien comment ça va se passer, mais ça ira forcément... Lui, de son côté, devait gérer un groupe de 250 personnes qui arrivait de je ne sais où mais, assurait-il, il serait forcément là à 10h pour faire le guide.
Quelques-uns ont plutôt préférer aller à Kruja, ayant déjà visité Tirana hier.
Ce qui leur a permis de prendre un look un peu plus local !
Sauf qu'évidemment, rien ne s'est passé comme prévu. Pourtant, il était debout à 7h, m'envoyant même un message pour me confirmer que tout était dans les clous. Mais à 9h45, il m'informait que le bus aurait une petite demie-heure de retard, pour cause de bouchon sur l'autoroute. A 10h40, toujours pas de bus. Je le rappelle alors que tout le monde s'impatiente, et il me confirme qu'il arrive mais que lui a eu quelques problèmes à régler et qu'il attendra tout le monde sur la place Skanderberg pour faire la visite. A 11h30, toujours pas de bus. Et je ne vous dis pas l'énervement de certains qui regrettaient déjà d'avoir choisi cette option alors que quelques participants, partis tôt, revenaient déjà, enchantés de leur première visite matinale, quand la circulation était fluide. Et, je vous le donne en mille Emile, on attend toujours le bus, tout le monde ayant fini par partir en taxi. Organiser une visite guidée à la dernière minute, ce n'est jamais une bonne idée, mais voilà, c'est fait... Et ça partait d'un bon sentiment, alors on lui pardonne volontiers à Bérenger, d'autant qu'il nous a dépatouillé de situations qui auraient été bien mal embarquées sans son entregent et sa connaissance des us et coutumes de ce pays par ailleurs terriblement attachant par la gentillesse de sa population.
L'entrée de Bunk'Art 1, la forteresse creusée sous le mont Dajti.
Dans la forteresse, le dictateur avait ses appartements, son bureau et même une antichambre pour sa secrétaire.
Il y avait même des cuisines comme celle-ci.
Et même des salles d'école...
Il y avait du pain sur la planche pour découvrir l'envers du décor de cette Albanie qui a vécu sous le joug d'un dictateur devenu fou, Enver Hoxha, plus stalinien que Staline lui-même et plus intégriste que Mao Tsé Toung. Un ayatollah du marxisme que même l'autre cinglé de la Corée du Nord ne parviendra jamais à égaler. Durant 35 ans, il a tenu d'une main de fer son pays, rompant les ponts avec la Russie lorsque Khroutchev a entamé la déstalinisation de l'Union Soviétique, puis avec la Chine lorsque le successeur de Mao s'est rapproché de l'Amérique de Nixon. Là, une sorte de paranoïa insensée lui a fait imaginer que le monde entier allait vouloir l'écraser, les communistes les premiers. Alors il a fait construire plus de 170.000 bunkers ou casemates à travers le pays, et creuser la montagne pour y abriter une forteresse souterraine pouvant résister aux attaques nucléraires. Elle se visite aujourd'hui, tout comme le bunker en centre-ville, prévu pour protéger les apparatchiks du ministère de l'intérieur. Ces deux endroits sont transformés en musées, donnant une image terrifiante de ce qu'était ce régime totalitaire dans lequel tout le monde avait intérêt à se surveiller parce que, si vous ne dénonciez pas quelqu'un qui regardait une autre chaîne que l'officielle, par exemple, vous et votre famille accompagneraient le "délinquant" en prison ou dans un camp de rééducation ! Un incroyable système d'écoute avait même été mis en place qui, disait-on, permettait d'écouter jusqu'aux pensées des citoyens ou des visiteurs logés dans les hôtels d'Etat truffés de micros et de caméras. Se balader dans ces couloirs sans âme vous saisit aux tripes et vous aide à comprendre combien cette époque a dû être terrible pour les Albanais. Celui qui les avait libérés du joug ottoman au XVe siècle, Skanderberg, doit se retourner dans sa tombe, encore aujourd'hui, à l'évocation de cette sombre période.
L'entrée du Bunk'Art 2 en centre-ville.
Un des centres d'écoute de la Sigurini, l'équivalent albanais, en pire, du KGB.
Skanderberg, le libérateur de l'Albanais !
Allez, un peit zeste de douceur pour en finir : l'intérieur de la cathédrale Ngjallja e Kishlit.