On ne peut faire plus écossaise comme journée. Nuages lourds au réveil, beau soleil au moment de partir, un ciel voilé par moments, de belles éclaircies et, pour finir, la pluie en fin de journée, histoire de rappeler que nous sommes ici bien au nord et que, si les pelouses et l'herbe broutée par les moutons sont aussi vertes, c'est que l'arrosage n'y est pas rationné. Les multiples lochs (lacs en langage autochtone) et les rivières qui traversent les highlands en serpentant à travers la bruyère et les herbes folles en témoignent. Tout était donc réuni pour une journée somptueuse, et elle l'a été. Au-delà de nos espérances. Sur le parking, on frôlait d'ailleurs un optimisme débordant, bricolant pour le plaisir plus que par nécessité, contrôlant ses niveaux et révisant le parcours en se souvenant des recommandations de la veille : faire le plein avant de partir, les stations étant rares sur la route et le parcours flirtant avec les 300 km aujourd'hui (j'avais été un peu optimiste sur le road-book, confondant sans doute miles et kilomètres à certains endroits !), s'apprêter à manger chichement, les restaurants étant peu nombreux et fermés pour la plupart, vu que nous sommes dimanche et que, même pour un anglican, ça peut être péché de travailler ce jour-là, et dégainer l'appareil-photo plus souvent qu'à son tour, tant les paysages traversés incitent à cliquer au-delà du raisonnable et de la mémoire des smartphones, voire de leur batterie.
Jean-Marc et Jean-Yves roulent ensemble. Mais avant, il faut rebrancher le coupe-batterie de la 203. Sans quoi, ça marche beaucoup moins bien.
Pascal, lui, brosse une bougie... Pour fêter mon anniversaire ? Même pas...
Tout était là, y compris la petite panne qui va bien et permet à l'assistance de faire étalage de tout son talent, et aux participants de leur prévoyance. Notre ami Alain Deprez, au volant de sa Triumph Vitesse à conduite à droite, s'est trouvé brutalement privé d'embrayage à quelques kilomètres à peine de l'hôtel. Nous avons un temps soupçonné son épouse, Hélène, d'avoir procédé à un sabotage savant dans la nuit pour zapper l'étape du jour et reposer son dos. Mais on voit mal comment elle aurait fait, ne sachant pas comment fonctionne un embrayage, encore moins un hydraulique. Et puis, elle connaît trop son Alain pour douter un seul instant de la minutie avec laquelle il prépare ses autos et les pièces qui l'accompagnent partout. Il prévoit même l'imprévisible notre ami. Et quand l'assistance a débarqué avec le plateau pour le ramener à l'hôtel, il a surpris tout son monde en disant qu'il avait sans le moindre doute la pièce qui permettait de réparer. En l'occurrence un kit de réfection de l'émetteur d'embrayage, son joint étant le fautif vite identifié ! Du coup, après démontage, remontage et purge, il a retrouvé ses vitesses, ce dont la Vitesse lui a été reconnaissante...
A peine en panne, voilà Alain rejoint par l'assistance.
Prévoyant notre ami Alain, il emporte toujours quelques tonnes de pièces... Au cas où...
Et toutes les pièces sont listées en fonction de la boîte dans laquelle elles se trouvent !
Le fautif : l'émetteur d'embrayage. Il n'est plus étanche... Va falloir changer le joint qu'Alain a en réserve...
On démonte, on nettoie, on remplace...
Ne reste plus qu'à remonter l'émetteur et à purger...
Le soleil étant de la partie quasiment toute la matinée, ne se voilant qu'à l'heure du déjeuner, on pouvait profiter des paysages comme jamais et découvrir pourquoi cette région est aussi magique. Comme dessinée par un peintre qui aurait cherché dans sa palette toutes les variantes de teintes peu usitées : les verts, les bruns, les ocres, les blancs, les bistres, les violets, les noirs... et qui, en les mélangeant par petites touches jetées au hasard, aurait composé un tableau d'une perfection absolue qui laisse le spectateur ébahi, époustouflé, sonné... Chaque tournant est l'occasion de découvrir un nouveau tableau, sur lequel le ciel joue une partition sans cesse changeante. Lorsqu'il laisse filtrer le soleil, la lumière semble enflammer le paysage. Lorsque les nuages se massent, noircissent ou s'enroulent avec furie, on a l'impression que les portes de l'enfer s'ouvrent et que l'on va voir apparaître les korrigans ou les kelpies, ces créatures aquatiques qui rôdent dans les lochs et les rivières d'Écosse, prenant souvent l'apparence de chevaux ou de jeunes femmes rousses au sourire enjôleur qui attirent les jeunes (et moins jeunes) au bord de l'eau pour les noyer ou les dévorer. Sauf si vous êtes assez rapides pour leur passer un licol autour du cou, auquel cas ils vous obéiront au doigt et à l'œil tout le reste de leur vie. D'où, sans doute, l'expression de “maintenir la bride sur le cou”.
Il est pas beau le ciel d'Ecosse ?
Du coup, les étendues d'eau ne sont pas noires mais... bleues...
Les rivières sont légion, qui serpentent en bouillonnant...
Le château d'Ardvreck ou ce qu'il en reste...
Par moments, le ciel se voilait, donnant une autre dimension au paysage...
Nous empruntions la B869 que d'aucuns considèrent comme l'une des plus belles routes d'Ecosse, et qui se mérite par son étroitesse, ses milliers de virages, ses montées et descentes parfois à 20% et qui vous oblige à une attention de tous les instants pour croiser ceux qui arrivent d'en face. Vous devez soit les laisser passer en vous glissant dans l'un des centaines de dégagements qui ponctuent cette route de chaque côté, soit vous dépêcher de poursuivre lorsque le quidam d'en face vous laisse la priorité. Le tout en regardant le paysage qui ne cesse de vous en mettre plein les yeux et vous incite à vous arrêter toutes les deux minutes pour prendre une photo ou profiter de la vue... Pour l'avoir faite dans les deux sens (sens inverse des aiguilles d'une montre ou sens naturel), c'est aussi beau d'un côté que de l'autre...
La boucle faite par la B869, au nord de Lochinver...
Restait ensuite à trouver un restaurant pour manger un morceau. Mission quasi impossible un dimanche et, pour la plupart d'entre nous, nous nous sommes contentés d'une “pie” (tourte à la viande ou aux légumes), d'un sandwich ou d'une soupe, parfois même d'un truc dont on ne saura jamais ce que c'était, vu que les explications des autochtones sont faites avec un tel accent que même avec un anglais de haut niveau, on ne comprend pas grand-chose. Qu'importe, le sourire est toujours de rigueur et l'ambiance de ces petits bistrots, salons de thé, ou Coffee House vaut le déplacement.
Et, pour finir, Ullapool avec un bateau de croisière en approche...
Le retour se faisait en suivant le loch Assynt sur lequel trônent les ruines du château d'Ardvreck, dressées à la verticale quasiment à fleur d'eau et cherchant à toucher le ciel de leurs créneaux polis par l'érosion et le temps. Une dernière halte à Ullapool, petit village côtier que visitent les bateaux de croisière, et il était temps de retourner sur Inverness, la pluie s'invitant alors sur la dernière heure du parcours. Comme pour nous rappeler que l'Ecosse a besoin d'eau pour être aussi belle. De beaucoup d'eau...