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Jour 05 - 06 - Erfoud / Zagora

Pour une grande première, on peut dire que nous avons fait très fort. Notre dixième rallye innovait. On s'était dit que pour fêter dignement ce mini-anniversaire, un peu de fantaisie ferait du bien, d'autant que c'est tout de même notre quatrième visite au Maroc. Le Grand sud étant l'objectif avoué, nous avons donc décidé de séparer, pour la première fois, circuit route et circuit piste pendant deux jours. Nous avions dans l'idée que ça créerait une ambiance de partage tout à fait nouvelle. Parallèlement, autre nouveauté, la piste allait bivouaquer « là où la nuit nous surprendra ». C'est comme ça que nous avions présenté la chose. Nous ne pensions pas si bien dire. Mais ne brûlons pas les étapes et commençons par le commencement.

Il était donc une fois un rallye qui se coupait en deux au départ d'Erfoud. Au petit matin, donc, les participants à la route (en petit nombre, il faut bien le reconnaître, devaient dormir les autres, tout heureux de se débarrasser des pistards qui sentent le fennec même en temps normal, c'est même à ça qu'on les reconnaît dans une foule) sont venus saluer les aventuriers de l'impossible. La veille, ils avaient appris la difficulté du parcours et ils nous plaignaient par avance, nous souhaitant « bon courage » et lançant des « A demain soir... peut-être » qui n'avaient rien de rassurant. Le stress aidant, c'est dans une belle pagaille que les deux groupes organisés avec soin la veille partaient. Le début du parcours était simple, il fallait tourner à droite en sortant de l'hôtel et, déjà, quelques-uns sont partis à gauche. Ca promettait. Le temps de les remettre sur le droit chemin, et nous apprenons qu'une partie du groupe 1 s'est perdu dans les rues d'Erfoud. Euh, plus justement, dans la rue centrale. La grande, quasiment la seule si on ramène leur taille aux normes françaises. Ils n'avaient, soi-disant, pas vu la station Total, point de repère qui permettait de prendre la bonne route. Encore une petite demie-heure de perdue. Rien de grave en soi, mais le départ prévu à 8h a, en fait, eu lieu à 9h. Et vous allez voir comment une petite heure de retard à l'allumage peut avoir de grandes conséquences.
Les vrais disciplinés, dans l'histoire, c'étaient cependant Rafael et Stéphanie Kitza qui avaient été invités à faire la petite boucle du matin entre Erfoud et Merzouga, une sorte de mise en jambe rajoutée au programme pour servir de test. Leur DS préparée rallye méritait bien ça. Au regroupement, à l'entrée de la piste, la tension est palpable. Il tarde à tout le monde d'en découdre, mais nous les avons prévenus : c'est une sorte de juge de paix, et ceux qui auront des difficultés ne pourront pas prendre part à la suite du programme. Du coup, la prudence est de rigueur et, sur le début de parcours très roulant, les chevaux ont été lâchés avec parcimonie. Un peu de caillou, quelques petits sablons de rien du tout. Pas un seul ensablement, quelques glissades vite rattrapées. Manifestement, tout le monde a bien appris sa leçon. Mais l'affaire nous prend malgré tout une bonne heure, et comme il nous reste encore une soixantaine de kilomètres pour rejoindre le début de la grande piste entre Erfoud et Oum Jrane, nous commençons à nous dire que ça va être chaud question timing.

Cette fois, c'est du sérieux. Et les premiers incidents pointent le bout de leur... jante.de la 2CV des Esnault qui n'a pas supporté une pierre. Le temps de la changer, et l'on commence joyeusement à s'ensabler. Oh, ce n'est pas tant la difficulté de ce premier sablon qui pose problème que l'inexpérience des néophytes qui suivent de trop près les copains, de peur de se perdre. En fait, ils perdent de la vitesse, ne prennent pas assez d'élan et se plantent avec une belle constance. Et comme ceux qui les suivent font de même, ça bouchonne par endroits. Quelques mauvais conseilleurs pas très charitables se moquent, mais en voyant faire Popineau et sa 2CV, tout le monde comprend vite comment franchir ces obstacles.

Mais à bricoler ainsi, de sablon en sablon, le temps passe et lorsque nous franchissons l'Oued où coule la rivière Ziz, nous avons déjà pris du retard et nous savons déjà que nous ne pourrons pas camper à Oum Jrane comme prévu, mais bien avant. Tant pis, c'est l'avantage du bivouac autonome, on le plante où on veut. Comme, en plus, il y a de la casse (un cardan sur la 4L des Zupancic, un autre souci de cardan sur celle des Lheurette ), le temps s'égrène. Pour ne rien arranger, les CB décident de ne plus donner de la voix. On s'entend à des kilomètres, mais on ne peut pas répondre. Ca tient du dialogue de sourds à un point que vous n'imaginez même pas. « Fabrice t'es où ? » « Y-a-t-il quelqu'un qui m'entend ? Si oui, vous pouvez dire à Philippe que sa maman-poule s'occupe d'un autre poussin » « Bon, on va où finalement , J'en vois à droite, à gauche, partout. Y'a-t-il un pilote dans ce rallye ? » « Je sais, je vais pas assez vite, mais celui qui me pousse aux fesses ferait bien de pas trop pousser, il va abîmer mon pare-chocs. Et c'est qui d'abord ? » « Lily, ça va mieux ta cheville ? » « Libérez les ondes, on s'entend plus penser ! » Bref, ça cacophonne. Et les difficultés s'enchaînent, notamment le passage d'une petite butte bien sablonneuse, qui bloque la colonne un bon bout de temps. Un temps mis à profit par Guillaume pour changer le cardan des Zupancic.

Dans ce joyeux bordel, beaucoup regrettent la disparition des cailloux, remplacés par du sable. On les comprend, et le meilleur reste à venir. Mais là, je vous la joue un zeste suspense. Avec flash-back pour commencer. La scène se passe à l'heure du déjeuner. L'assistance confère. Sérieuse en diable. Le repas a été pris sur le pouce car le temps est déjà limité. Décision est prise de stopper la colonne entre 16h et 16h30 au plus tard. Le temps d'installer le bivouac avant que la nuit ne tombe. Retour au présent. Une fois l'oued franchi (les appareils photos et les caméras ont férocement immortalisé la scène), un premier groupe décide de partir, sous la conduite d'un ouvreur, pour avancer un peu. Et, surtout, sortir de l'oued. On ne sait jamais. Il s'aventure sur la partie hors-piste pour tirer droit sur la montagne, où l'on doit bifurquer sur la gauche et s'emmancher ensuite 4 km de sable mou. Il est 15h45. Tout va encore bien, mais au lieu de s'arrêter avant le goulet dans lequel les deux roues motrices vont immanquablement s'enliser, obligeant à de longues opérations de tractage (et non de tractation), il continue. Moi, je suis derrière, et lorsque je vois ce qu'il est en train de se passer, je tente d'alerter le leader. Mais la CB est aux pâquerettes, la VHF également et le téléphone satellite n'est manifestement pas branché dans le camion rouge qui se trouve pourtant juste devant moi. Je tente un zeste de hors-piste pour les rattraper, mais il n'y a vraiment qu'une trace possible. J'essaie les appels de phares, le klaxon, mais un quatre-quatre ça fait un potin de tous les diables... Bref, rien n'y fait et j'imagine déjà la tête de Daniel en apprenant que nous nous sommes aventurés aussi loin. Lui galère bien en arrière, ensablé avec le Berliet. Mais oui, ça peut arriver ! La preuve. Et tout le monde s'est plus ou moins éparpillé à notre suite. Le sable mou passé, je décide donc de m'arrêter. Je me dis qu'en ne voyant plus personne, les dix véhicules qui sont devant vont s'arrêter et faire demi tour. Tu parles, ils ont pris de la distance et bye-bye ! Un seul reviendra sur ses pas, les Christ avec leur Lada Niva, leur poussin étant avec moi (les Danière avec leur Panda 4x4). J'ai deux motards à mes côtés, Emmanuel Poupon et Dominique Bajard. Ils me proposent de dropper pour rattraper les premiers, mais ils sont beaucoup trop loin pour prendre ce risque alors que la nuit va tomber dans moins d'une heure. Il est 16h15. Nous retournons sur nos pas, auprès d'un oued, sur le bord de la piste, et nous décidons que le campement aura lieu là. Au loin, nous distinguons la poussière soulevée par ceux qui se sont engagés dans le goulet. Ca a l'air d'avancer, et je me dis que, finalement, ça va le faire. A la CB, que nous captons haut et fort, nous entendons pourtant que c'est difficile pour les deux roues motrices qu'il faut régulièrement crocher pour leur faire franchir plusieurs centaines de mètres d'un sable très mou à cette heure de la journée. Nous en voyons cependant arriver quelques-uns, et nous nous installons tant bien que mal. Un, deux, cinq, dix, quinze, vingt, et finalement vingt-sept équipages nous rejoignent avant 17h. Mais à la CB, je comprends que, derrière, ça se complique sévère. En crochant les voitures, certaines n'ont pas supporté le traitement et les Lheurette, ainsi que les Zupancic sont en délicatesse avec leurs cardans. Les secousses violentes en ont eu raison... Daniel essaie désespérément de nous joindre, et nous finissons par improviser un relais CB, et nous convenons qu'il faut arrêter là. Il y aura trois bivouacs, tant pis. Celui qui est loin devant, le nôtre, et celui que Daniel organise à... 500 m de nous. Nous ferons d'ailleurs des navettes pour transporter les tentes et l'eau. Autre mauvaise nouvelle, notre ami marocain Ydriss ne parvient pas à nous retrouver depuis midi, et nous n'aurons pas de pain. A la guerre comme à la guerre. Et si le bivouac de Daniel est le plus fourni (il a les apéros, les tables, les groupes électrogènes...), le nôtre se débrouille plutôt bien. Les Degrémont nous ont même installé un projecteur que l'on peut voir à des kilomètres à la ronde (paraît que la Police nous recherchait et qu'elle n'a pas pu nous trouver, c'est im-pos-si-ble !), et nous avons jeté en vrac toutes nos provisions sur les tables de camping que certains d'entre nous trimbalent en permanence. Nous ne manquerons finalement de rien, et comme entretemps j'ai pu avoir le groupe route grâce au téléphone satellite, nous nous couchons fatigués mais rassurés.

Entre deux allers et retours entre les deux campements, nous avons décidé que le départ se ferait assez tôt, car nous avons environ 50 km de retard sur le programme, ce qui représente deux bonnes heures, la moyenne, sur la piste, étant faible. Nous sommes debouts à 6h pour assister à un lever de soleil dans le désert comme on n'en voit nulle part ailleurs. Après la nuit étoilée, c'est une deuxième récompense. On plie les tentes, nettoie le campement pour ne pas laisser la moindre trace de notre passage, et je file voir le groupe qui est derrière nous. Nous sommes prêts, pas eux... Ils ont manifestement fêté l'anniversaire de Christian Nayrolles jusqu'à pas d'heure, et ils ont de petits yeux ce matin. Du coup, nous nous regroupons vers 8h seulement. Nous savons déjà que nous allons supprimer la boucle autour de Zagora que nous voulions rajouter pour faire bonne mesure. Et si nous parvenons à remplir le programme de la journée, ce ne sera déjà pas si mal... Le début du parcours se fait dans la bonne humeur. Il ressemble comme un frère à celui de la veille : du sablon, du caillou. Mais ça roule, avec même de belles portions, sur le plateau, parfaitement planes où l'on peut se faire réellement plaisir dans de longues glissades maîtrisées. Quelques panouilles, essentiellement des crevaisons (deux pneus tout de même sur la VW 181 de Rommel, euh pardon, Chaintreuil), ou une vis d'alternateur tombée... sur le support moteur (on appelle ça de la chance Flavien), les pâles d'un ventilateur additionnel qui viennent manger une batterie. Mais surtout une grosse panne : sur le Mercedes LAF des Degrémont, le ventilateur est venu percer le radiateur. Pas d'autre solution, pour lui, que de prendre la route tracté par le Mercedes LAF 911 de son copain Jean-Michel Astor. Ce soir, c'est soudure au programme.

Ils auront ainsi échappé à la dernière partie de piste de la journée. Très roulante sur une vingtaine de kilomètres (à ma grande honte, je vous avoue avoir été flashé à plusieurs reprises en excès de vitesse mais c'est à ce prix que j'ai rejoint tout le monde), puis franchement cassante, épuisante, caillouteuse et poussiéreuse sur plus de 50 km avant d'être à nouveau roulante sur les dix derniers kilomètres. Pénible à vrai dire. Mais je vais vous en raconter une bien bonne. En même temps que nous faisons notre rallye se déroule apparemment un rallye comptant pour le championnat du monde de je ne sais quoi, pas WRC en tout cas (bravo à Loeb). Ils sont 400 à se pavaner dans des engins à 300.000 /700.000 dollars pour les plus riches, dans de pauvres SUV pour les autres. On en a croisé un. Ou, plus exactement, il est venu se mêler à notre groupe. « Mes amortos ont fondu, les silentblocs sont morts, j'en peux plus, si j'avais vu j'aurais venu en 4L ». Sur cette même piste que nous avons faite, il a fait demi-tour le gars, abandonné ! Son bugdet n'est pas le même. Quatre-quatre genre SUV à peine amélioré à 15.000 euros, engagement à 10.000 euros, plus tous les à-côtés, l'est déçu de ne pas pouvoir poursuivre. Se demande s'il ne s'engagera pas, l'année prochaine sur un Iltis. Je vous l'ai enfumé le bougre, dès que j'ai pu. Imité par les 4L et 2CV qui me suivaient. N'avançait pas le gars. A sa décharge, il n'avait plus de suspension ou presque. Or, sur la caillasse, il faut rouler assez vite pour ne pas faire travailler les amortos, mais plutôt les pneus. Nous en empêchait en se traînant, alors on l'a enrhumé. Me demande, moi, si nous n'aurions pas intérêt à nous inscrire à ce rallye avec nos Iltis. Ca passe partout ces engins, ça va vite, c'est un vrai bout de bois, mais costaud comme pas permis... A creuser.
Bref, une fois de plus, avec toutes ces péripéties, c'est à la nuit tombée que nous sommes arrivés. Pour retrouver la route qui a, de son côté, vécu deux journés apparemment assez tranquilles...

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