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Etape 6 - Tataouine - Douz
Il était écrit que ce Réveillon des Sables devait entrer dans l'histoire. C'est chose faite. A quelques minutes près, ce n'est d'ailleurs pas à Douz que nous aurions réveillonné mais bel et bien au milieu du désert, quelque part entre rien et pas grand-chose, entouré de dunettes qui se sont acharnées à contrecarrer notre avancée. Mais ne brûlons pas les étapes. Le parcours du jour était coupé en deux. Une première partie très cassante, se terminant même par une tôle ondulée surnommée par les locaux le cimetière des voitures, et une seconde dont nous avions gardé d'épiques souvenirs, notre première expérience tunisienne, sur cette même piste, s'étant terminée à la nuit. Nous avions suggéré à certains de ne faire aucune des pistes (notamment à la R12 de JC et Peg dont a vu, hier, combien elle avait du mal dans le sablon, alors les dunettes !), et à d'autres de ne faire que l'étape de l'après-midi, plus roulante, en tout cas moins assassine pour les mécaniques. Une dizaine de voitures manquaient donc à l'appel lorsque nous avons donné le départ, à 7h30 tapantes, dans une brume qui nimbait le paysage d'une étrange lueur post-apocalyptique. Antibrouillards et phares étaient quasiment indispensables pour percer une purée de poix qui, fort heureusement, commençait à s'effilocher à l'approche de Chenini. La piste que nous empruntons ce matin est d'ailleurs baptisée du nom de ce village, et les locaux l'empruntent sans souci avec leurs 404 pick-up ou Mitsu. Elle est pourtant redoutée par de nombreux organisateurs de raids 4x4 qui nous déconseillaient d'ailleurs d'y emmener nos 4L ou 2CV. Mais nos raideurs, piqués au vif, avaient décidé d'en remontrer aux grosses cylindrées modernes qui osent à peine poser leurs énormes boudins surgonflés à plus de 3 bars sur ce revêtement qui alterne caillasse saillante, trous, sablons, et pour finir une tôle ondulée redoutable car parsemée de trous qui empêchent de prendre de la vitesse sans risque. Nous avions prévus trois bonnes heures pour faire les 86 km de cette piste, nous ne mettrons péniblement que deux heures, et encore parce que nous avons fait plusieurs haltes pour nous regrouper ou faire quelques photos souvenirs.
Au sortir de la piste, nos raideurs se marraient. « Elles commencent quand les difficultés ? Il est où le cimetière des voitures ? Ce n'était que ça votre tôle ondulée qui massacre tout ? » Bref, ça les faisait doucement rigoler. Du coup, nous avions plus d'une heure d'avance sur le programme, et donc sur l'heure prévue pour raccrocher le groupe des 6 voitures qui devaient nous rejoindre par la route. Histoire de ne pas perdre trop de temps, nous décidons, avec Michel, de partir devant avec le gros de la troupe. Daniel et Didier nous rejoindront ensuite avec les derniers. Tout le monde en profite pour dégonfler car nous n'allons manger quasiment que du sable, sauf sur la dernière partie, un véritable champ de mines. Dès le départ, nous nous engageons sur la mauvaise piste qui nous mène directement à un plan d'eau. Un peu plus loin se trouve un gué, mais comme nous ne voulons pas détruire la beauté du paysage en y laissant nos traces de gommes, nous décidons de faire un détour. Seul le groupe des V8 qui n'écoute toujours pas ce qu'on lui dit (ça va changer dans le courant de la journée, vous verrez pourquoi) décide de faire joujou autour du plan d'eau tandis que nous nous décalons sur la droite. Nous pensons, non sans raison, que Daniel les prendra au passage et les mènera directement sur la bonne piste, mais rien ne va se passer comme prévu.
Tandis que nous nous engageons sur la piste, au milieu des caravanes de dromadaires et des touristes, Daniel est parti satisfaire un besoin pressant et il ne voit pas le groupe des Colorale et de leurs voitures accompagnatrices arriver au point de ralliement. Ils sont cinq. Lancent un appel à la CB et nous demandent où se trouve l'entrée de la piste. Problème, ils la prennent un rien trop à droite, car rien ne ressemble plus à une trace qu'une autre trace, et ils entrent dans du sable mou. Heureusement, les Colorale sont haut perchées, coupleuses et leurs pilotes ne sont pas des novices. Ils aident les deux-roues motrices à se sortir de ce guêpier et rebroussent chemin, au moment où Daniel, voyant l'heure du regroupement dépassé, décide de s'engager à son tour sur la piste. Tant pis pour le retardataire qui devra faire du tourisme à Douz (il s'agit des Bernard qui, de toutes façons, n'étaient pas très chauds pour souffrir aujourd'hui, ils se rattraperont demain). Nous le joignons d'ailleurs au téléphone pour lui dire que ce n'est plus la peine qu'il tente de rallier Ksar Ghilane mais qu'il file directement sur Douz. En se jetant sur la piste, Daniel voit au loin le groupe des Colorale qui revient vers la bonne piste. « Ben, vous êtes là, finalement ? Mais vous venez d'où ? » Une petite explication plus tard, ils repartent et se mettent dans nos traces.
Le début du parcours est relativement aisé, mais au bout d'un petit kilomètre, un enchaînement de dunettes de moins en moins porteuses, commence à freiner les deux-motrices qui ont du mal à godiller sur plusieurs dizaines de mètres sans perdre de puissance. Nous, avec notre gros 4x4 aux pneus de fillette (ce sont des gommes faites pour la route, très lisses d'ailleurs), nous passons sans souci, mais eux ont bien du mérite. Les tankages se succèdent, mais comme le groupe est constitué en binômes (une maman-poule 4x4 pour un poussin deux-roues motrices, le groupe des V8 étant surnommé les coquelets), ça ne tergiverse pas et le premier cordon est franchi sans trop d'encombres. C'est de bon augure pour ce qui nous attend. Au passage, nous croisons des 4x4 locaux transportant six à sept touristes qui sont ainsi emmenés dans le désert, en toute sécurité.Rentrés chez eux, ils pourront dire qu'ils ont fait du 4x4 dans le Sahara, sauf que ça ne s'appelle plus vraiment du 4x4, ça. Par contre, nous admirons les trekkeurs qui font une partie de la piste que nous allons emprunter et qui fait une cinquantaine de kilomètres ! Euh, ce sont de véritables sportifs.
Après le cordon de dunettes de Ksar Ghilane, nous nous engageons sur la piste qui remonte vers le nord-ouest pour tourner franchement à gauche et nous lancer à l'assaut du Grand Erg Oriental. Mais avant cela, il y a une formalité à accomplir : franchir la passe qui, deux ans plus tôt, nous avait demandé trois heures d'efforts et nous avait valu une arrivée nocturne. Le point est bien marqué sur le road-book et nous avons prévu d'y rassembler nos troupes pour déglonfler encore un peu plus et surtout former des groupes, autour de chaque dunette, afin de pousser ceux qui auraient du mal à avancer. Tactique payante, car malgré quelques tankages sévères, nos braves deux-roues motrices avalent l'obstacle, parfois en deux à trois fois, et grâce à la motricité humaine, mais nos pilotes sont décidément très bons cette année, et il nous faut moins d'une heure pour nous retrouver sur la piste qui doit nous permettre de déjeuner au Café Grand Erg. Il est, en effet, midi passé et les estomacs crient famine. La première erreur de la journée, c'est là qu'elle va se produire. L'expérience nous a montré qu'il ne fallait jamais faire une halte prolongée pour un pique-nique à un croisement de piste. Le risque de se tromper de piste après avoir mangé est multiplié par dix. Mais nous sommes dans une forme éblouissante, nous avons une heure d'avance sur l'horaire le plus pessimiste, et voilà d'ailleurs nos retardataires, le groupe des V8. La troupe est donc au grand complet, et nous traînassons en évoquant les exploits du matin, buvant un petit coup, voire deux.... Deuxième grosse erreur. Et puis, certains évoquent leurs aventures passées dans ce même désert, et la piste qu'ils empruntent d'habitude, plus à droite de celle sur laquelle nous sommes, et qui fait gagner une bonne heure sur le parcours, car elle trace tout droit à travers le grand Erg oriental. « Elle est très roulante ! Même s'il y a un ou deux passages difficiles. » Troisième erreur : ne jamais écouter les belles histoires, il en reste toujours quelque chose. Enfin, dernière et fatale erreur, certains sont partis avant tout le monde, fleur au fusil, en totale confiance, dessinant ainsi, sans le vouloir, une trace qui allait se révéler perverse.
Lorsqu'à notre tour nous nous engageons sur la piste, avec le groupe des deux-roues motrices et Michel, nous ne sommes pas suffisamment attentifs au road-book, et nous suivons les traces qui nous précèdent, elles sont fraîches et c'est très roulant. Pourtant, Sylvain me prévient rapidement que nous nous éloignons de la bonne trace. J'en informe Michel qui me dit l'avoir également remarqué, mais d'après le GPS cette piste remonte directement vers le nord et ce doit être celle dont on nous a parlé ce midi. On va donc gagner du temps ? Que nenni !
A cet instant précis, nous aurions dû nous arrêter immédiatement et faire demi-tour pour reprendre la bonne trace. Le principe est, en effet, de toujours suivre le road-book à la lettre. Ce qu'il donne comme information est inscrit dans le marbre, on doit lui faire une aveugle confiance. Mais il se pose un problème de taille à notre réflexion. Nous savons que le groupe des V8, les motards et les camions se sont engagés sur cette piste. Que faire ? Les laisser poursuivre leur chemin jusqu'à ce qu'ils se rendent compte de leur erreur et fassent demi-tour ? Ou les suivre, quitte à nous planter... Nous avons du temps devant nous, nous décidons donc de suivre cette deuxième option. Derrière, Daniel et quelques brebis égarées doivent être surpris de découvrir nos traces s'éloigner aussi radicalement du road-book, et il les suit, bien décidé à nous rappeler la règle d'or. Mais il est déjà trop tard. Un premier cordon de dunettes s'avère difficile à franchir, mais la bonne volonté de tous permet malgré tout de ne pas trop perdre de temps. Derrière, la piste est de nouveau bien roulante et nous nous rapprochons très vite du point de ralliement que nous nous sommes désormais fixé, le Café du Désert qui nous permettra de reprendre la bonne piste et de rallier le campement où l'on nous attend pour réveillonner.
Nous regroupons tout le monde, une nouvelle fois, sur un monticule et notre GPS nous indique que nous sommes toujours sur la bonne piste, à seulement 14 km de l'arrivée. Mais le doute nous assaille brutalement. Avec Michel, nous regardons au loin le groupe des V8 qui semble arrêté au milieu des dunettes. Mais ce qui nous inquiète le plus, c'est la ligne de crête qui indique, sans erreur possible, que nous allons nous trouver face à des dunes qui seront infranchissables pour nos deux-roues motrices. Nous décidons cependant d'aller examiner de plus près le terrain qui nous attend. Michel part un peu plus loin chercher la trace, nous nous la dessinons au plus court en slalomant entre les dunettes, un coup à droite, un coup à gauche. A la CB, Michel annonce que c'est toujours jouable 500 mètres plus loin. Les deux-roues motrices se lancent dans le goulet. Je m'avance un peu plus loin pour découvrir un véritable mur de dunettes dressé sur des centaines de mètres. Je m'y aventure, franchis un premier cordon sans trop de souci, puis un deuxième un peu plus difficile avant de me retrouver devant une série d'obstacles enchaînés qui ont raison de mes pneumatiques au rabais. Je me tanke joyeusement, évitant de peu le croisement de pont. Mais sans motricité, pas moyen de faire une marche arrière. Michel, qui vient de faire demi-tour, me sort au treuil et nous décidons de revenir en arrière. Trop tard, les deux-roues motrices nous ont rattrapé et se tankent quelques dizaines de mètres derrière nous. C'est un véritable empilage qui nous attend. C'est le moment que choisit le TP3 pour revenir vers nous. Il nous annonce que le groupe des V8 cherchait à passer en force les dunes, mais qu'il a dû renoncer, sous la pression de la 4L Sinpar qui les accompagne et se voit mal réussir à gommer l'obstacle. Michel repart au plus vite en arrière et je m'apprête à en faire autant lorsque Sylvain remarque une tache bleue dans le désert immaculé. Elle est à une centaine de mètres sur notre droite. Bon sang, c'est un motard, Emmanuel, dont la machine s'est totalement enfouie dans le sable. Il semble épuisé, incapable de la relever. Avec l'aide de Sylvain et d'un quatrelliste venu à la rescousse, ils parviennent à le sortir de cette délicate situation, mais Manu est épuisé, déshydraté. Malgré toute son expérience, il est formel, c'est infranchissable car le sable, chauffé par le soleil, est devenu de la farine. Il ne porte plus, tous essaient de faire demi-tour mais c'est dur.
Il nous faut plus d'une heure pour parvenir à renvoyer la colonne sur le petit mont où nous avions pris la décision de poursuivre notre route. Daniel est arrivé, il est furax. « Il faut toujours suivre un road-book. Là, on est plantés, et la nuit tombe dans moins d'une heure. Il y en a encore combien de paumés dans ce merdier ? » A cet instant, il reste encore deux 4L de tankées, aidées par leurs mamans-poules et le groupe des V8. Les motards se sont regroupés. Ils sont épuisés, mais le plus atteint d'entre eux, c'est François. Cela fait plus d'une heure qu'il n'a plus d'eau, et il est en hypoglycémie. On le réhydrate, on le bourre de sucres rapides et lents, et on décide de monter sa moto sur un camion. Il terminera l'étape bien à l'abri, dans le Mercedes des Degrémont. Nous n'en avons malheureusement pas terminé avec les galères. L'Iveco d'Eric Degrémont a joué les bons samaritains pendant des heures, et là, il vient de casser, un roulement de roue. Il doit finir sur le Mol.
C'est finalement avec près de deux heures de retard que nous décidons de faire à nouveau deux groupes. Daniel avec tous ceux qui sont déjà arrivés, moi et Michel avec les retardataires. Il nous faut revenir 15 km en arrière, pour parvenir au point où nous avons bifurqué par erreur. La nuit est en train de tomber, et dans le désert, c'est extrêmement rapide. Nous suivons les indications de Daniel qui nous donne un point GPS nous permettant de reprendre une piste qui devrait nous mener à bon port. Nous revenons, en fait, sur nos pas et retrouvons le cordon de dunettes qui nous coûte encore quelques tankages, mais de moins en moins, tout le monde étant désormais bien concentré. Nous commençons même à envisager de réveillonner dans le désert, c'est vous dire ! Ca ne serait pour déplaire à personne, mais nous poursuivons notre route et rallions enfin le bon point de bifurcation à 18h45. La nuit est bien noire, mais cette fois, nous sommes dans la bonne trace, et il nous suffit de la suivre. En fait, nous n'avons que deux bonnes heures de retard sur l'horaire pessimiste, mais rouler de nuit, dans le désert, c'est une toute autre paire de manches. Bon, nous qui en sommes à notre deuxième expérience, sur la même piste, c'est plus facile, mais la piste reste malgré tout piégeuse. Les obstacles sont, heureusement, tous très facilement avalés, et nous décidons, pour aller plus vite, d'atteler les deux-roues motrices pour passer les cordons de dunettes qui nous attendent. Nous perdons un peu de temps dans l'opération, mais nous en gagnons énormément car en moins d'une demie-heure, nous nous retrouvons à longer les poteaux qui mènent au Café du Parc (c'est dingue le nombre de cafés que l'on peut trouver dans le désert !). Désormais, ce sera plus facile. Mais il est plus de 20h, et nous sommes loin de l'arrivée. Le convoi est long, et de voir ce ruban de feux dans le désert, c'est purement magique. D'autant que la lune ne nous offre qu'un minuscule croissant et que le ciel est magnifiquement étoilé.
Lorsque nous arrivons enfin au Café du Désert (rappelez-vous, nous étions à peine à 14 km de lui en début d'après-midi), il est plus de 21h30. Nous prenons à droite, pour découvrir un bout de goudron. Fausse joie, au bout d'une centaine de mètres, il laisse place à une piste d'abord sablonneuse et caillouteuse, puis carrément un champ de mines. Nous sommes secoués comme des pruniers, et il est impossible de rouler à plus de 30 à 40 km/h sur un tel revêtement. On se prend à aimer et réclamer les zones de sable mou qui permettent de reposer nos carcasses ! A 22h30, nous arrivons enfin sur le bitume, le vrai. Le temps de refaire les pleins, et nous filons sur Douz et prendre la piste la plus facile pour rejoindre le campement. Facile de jour ! Un peu plus sport de nuit. C'est le moment que choisit une 4L pour avoir des ratés d'allumage et une 2CV crève un pneu. Ca, plus quelques tankages, et il est plus de 23h30 lorsque nous aperçons brusquement, au détour d'une dunette, le campement au loin. Quelques pâles lumières dans la nuit noire ! Nous y sommes enfin ! Mais que se passe-t-il soudain ? Le ciel semble s'être embrasé. Il est couleur rouge et nous apercevons quelques silhouettes qui ont allumé des fusées de détresse pour nous souhaiter la bienvenue En nous approchant, nous entendons de la musique, des chants. C'est une arrivée triomphale qui nous attend, il est 23h40. Nous avons tout juste le temps de jeter nos valises dans les tentes ou huttes avant de rejoindre le groupe et, enfin, réveillonner ! Sur les visages, que des sourires. D'immenses bananes... Ce fut grandiose, et voilà encore des souvenirs qui feront rêver les enfants et petits-enfants. « Oui, mon petit, j'ai connu le désert la nuit, c'est beau, ça fout la trouille, mais c'est beau ! » Et oui, ce sera une édition d'anthologie...Bonne année à tous, nous elle a commencé dans un indicible bonheur. Et on vous souhaite de connaître des moments aussi intenses, un jour dans votre vie.

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