Your browser does not support JavaScript!
Piste - 20-10 - Fes / Tanger
Cette fois, c'est bien fini. Ce matin, c'est à 8 heures pétantes que tous se précipitent vers le minuscule parking de l'Hôtel Fes Inn pour reprendre leurs véhicules et prendre la route de Tanger. Tous ? Non, un équipage est à la traîne. Flavien et Jean-Christophe dont la R4 attend, esseulée. Ils arrivent une bonne demie heure après tout le monde. « Vous étiez où les gars ? Le réveil n'a pas sonné ? » « Pas du tout, hier on est arrivés les premiers, on était au fond, on s'est dit qu'on avait le temps... »
Nous sommes une petite dizaine à ne pas suivre le convoi. François et Gégé le Breton qui ramènent le camion Mol à Kénitra pour attendre le deuxième groupe, Benoît, notre médecin, qui retourne sur Casablanca prendre son avion, Stéphane qui est parti en avion dès 6h ce matin (il reprend le boulot... demain !), Agnès, Didier (le célèbre « Bienvenue au Maroc Monsieur Didier Aubry), Patrick Bance, Marie-Hélène et votre serviteur. Tous les cinq nous allons prendre un avion pour revenir au plus vite en France pour diverses raisons. Moi, j'en ai une imparable : demain matin, c'est la réunion Gazoline et j'ai hâte de sentir le pouls des participants parisiens à la deuxième session qui ne manqueront pas de m'interroger sur les événements qui ont marqué cette première partie.
Les embrassades ont été longues et chargées d'émotions, la soirée ayant gommé les dernières rides qui auront marqué le visage de ce 3e Rallye Raid Africa Gazoline. Nous avons rendu de nombreux hommages à ceux qui ont joué les Saint-Bernard (notamment les Stéphanois), aux femmes co-pilotes qui ont souvent dû endurer les reproches de leurs compagnons stressés parce qu'elles « sont pas capables de lire un GPS, ah ça le point G ça te travaille, mais le point GPS, hein ? » (cela dit, ce sont les mêmes qui n'ont toujours pas compris à quoi ça servait un GPS), aux femmes qui ont conduit (et elles ont été finalement assez nombreuses, plus d'une demie douzaine), au plus ancien (Aimé) qui en a profité pour faire un pèlerinage sur les traces de son adolescence, aux plus jeunes (Damien et Emilie), au plus râleur (si on en croit son épouse, nous lui avons désormais donné les clés pour jouer de ces râleries), aux plus généreux, etc. Le rire le disputait souvent à l'émotion et ce matin, on retrouve sur certains visages des sourires empreints d'une indicible nostalgie. C'est fini. Mais, pour beaucoup, c'est aussi et surtout le début de belles histoires d'amitiés qui se poursuivront bien au-delà.
Les derniers partis, nous avons traînassé dans la Médina. Grimpé jusqu'au quartier des tanneurs qui oeuvrent encore dans des conditions invraisemblables, jambes nues plongeant dans des bains colorés pour imprégner des peaux malodorantes ; poussé dans des ruelles sombres laissant à peine la place à un homme de passer ; laissé passer les ânes lourdement chargés, seuls capables de se faufiler pour porter peaux, graines, épices, viandes et autres denrées que les hommes ne peuvent, seuls, mener à leurs échoppes de la taille d'un dé à coudre. On croise ici un réparateur de machines à coudre, de vieilles Singer ou Brother ; là un cordonnier coincé entre deux tas de cuirs, luttant avec eux pour tailler une croute ; plus loin trois hommes assis en tailleur dans un réduit de trois mètres de long sur un mètre de large et travaillant à confectionner des djellabah, un quatrième accrochant, dans la rue, une bobine de fil qui se déroule de maison en maison, alimentant ces multiples artisans qui semblent travailler le même... fil de rue en rue. Il faut parfois baisser la tête pour ne pas le heurter et risquer d'interrompre un travail dont on ne perçoit pas toujours le cheminement. On croit comprendre que plus haut, un marchand fournit ce fil qu'il déroule en fonction des dirhams qu'il perçoit au fil de la journée. On achète dix mètres, on les tire jusqu'à achèvement du crédit. On tire deux fois dessus pour signifier qu'on veut en acquérir une tranche supplémentaire et on délègue un ouvrier ou un voisin qui amène l'argent dans le quart d'heure. C'est rôdé comme du papier à musique. A quelques mètres, un ferblantier repousse du métal pour sculpter dans de l'aluminium ou du maillefort des théières ouvragées. Un autre sculpte des plateaux en bronze, dessinant suivant son inspiration avec un simple burin affûté et un marteau de complexes figures. Le menuisier sort de son échoppe pour demander un thé à la menthe à un jeune, affalé sur les marches et qui semble n'attendre que ça pour déguerpir à la vitesse d'une gazelle, un dirham précieusement conservé au fond de son poing fermé. De tous côtés, ça discute, pardon, ça palabre. Généralement avec le sourire, parfois en haussant le ton et en faisant de grands gestes. Le touriste est regardé avec amusement. On le sait proie facile et s'il ne se méfie pas, il se fait entraîner par un faux guide vers des marchands peu chaleureux (si si, ça existe), qui annoncent des prix « miraculeux », autrement dit astronomiques. La babouche royale (couleur jaune) atteint des sommets de forfanterie. Elle s'imagine valoir 600 dirhams alors qu'à 150 elle est déjà chère. Le commerçant le prend de haut lorsque vous souriez et mettez en doute sa compétence à connaître le prix de sa marchandise. « C'est la qualité qui importe Sidi ». Vous lui rétorquez que « Le prix s'oublie mais la qualité reste, mais il ne faut pas non plus prendre le Sidi pour un attardé mental. Que sa babouche royale, il ferait mieux de la négocier chez Christies plutôt que dans son échoppe. » Il s'offusque. Vous souriez. Il divise son prix par deux, sentant que vous n'avez pas été dupe. Mais la discussion ne fait que commencer. Si vous êtes trop pressé et trop agressif, vous repartirez sans la babouche ou vous la paierez son « juste » prix, les 600 demandés au départ. Si vous prenez le temps, alors vos babouches, vous les mettrez à vos pieds pour moins de 150 dirhams, après avoir pris le thé et en ayant gagné un porte-monnaie en cuir et deux ou trois autres babioles. « Le commerce, mon ami, ce n'est pas faire une affaire. C'est partager une affaire. Tu es content, je suis content. Nous avons discuté, pris le temps de discuter, c'est important. La vie est trop courte pour se contenter de rencontrer des gens sans parler avec eux. »
Plus tard, alors que nous filons à l'aéroport pour prendre notre avion, nous apprenons que tout le convoi arrive sur Tanger. Malgré l'absence de road-book, personne ne s'est perdu. A l'heure qu'il est, le Marrakech a pris la mer (avec deux heures de retard) et comme pour les précédentes éditions, tous les véhicules sont roulants. Ce qui est loin d'être le cas des 4x4 modernes qui ont retardé l'embarquement car il fallait les tracter un à un pour les faire entrer dans le bateau... La prochaine fois, ils prendront peut-être des anciennes, ce sera plus sûr...

A lire aussi