Piste - 12-10 - El Kelaa N'Gouma / Oasis de Fint
Quelle journée ! Lors de la reconnaissance, Daniel et Yves avaient pu apprécier la difficulté mais surtout la beauté des paysages traversés par la piste qui court au fond de la Vallée des Roses. Elle se mérite, c'est le moins qu'on puisse dire. Dès les premiers kilomètres d'un terrain caillouteux mais relativement praticable, tous les participants comprennent qu'ils vont en baver. La 404 de Florian Hamon et Vincent Giboin a perdu un boulon de fixation de leur barre Panhard. Du coup, le pont se balade et la tenue de route est devenue plus qu'aléatoire. C'est sans gravité et la fixation sera rapidement réparée, mais nous conseillons à nos camarades de jeu de reprendre la route en sens inverse pour nous rejoindre plutôt par la route. Car ces kilomètres de mise en train ne sont rien comparés à ceux qui nous attendent.
A bord de la Gégémobile, nous rattrapons rapidement tous ceux qui sont partis bien avant nous. Et nous tombons sur la 403 sur laquelle on installe un ventilateur électrique. Elle chauffe ! Ce verbe va d'ailleurs devenir un leitmotiv tout au long des cinq kilomètres d'une montée pentue, glissante, éprouvante pour les hommes et les mécaniques. Nous doublons ici une Colorale dont l'essence bout régulièrement, là une Jeep Wrangler, celle des Wahl, dont le pot d'échappement est tombé. En fait, il apparaît qu'il est trop court. Nous faisons une réparation de fortune et elle retourne à El Kelaa, où l'équipe du camion Berliet est restée, pour lui souder un manchon. Deux victimes et nous n'avons pas encore fait dix kilomètres de piste ! Ca promet !
Heureusement, le paysage est somptueux. Du haut du col, nous dominons la Vallée des Roses. Une immense oasis traversée par un gigantesque oued, rarement à sec. Le vert est aujourd'hui la couleur dominante. Au printemps, c'est le rose des pétales qui sèchent sur chacun des toits des centaines de maisons qui bordent l'oued. La descente qui suit est abrupte et provoque encore son lot de vapor-lockisme (un mot inventé pour l'occasion). Un bon chiffon mouillé autour de la pompe à essence et ça repart cinq minutes plus tard. Encore et toujours ces problèmes d'alimentation, mais cette fois pour chauffe excessive. La durit d'essence doit passer trop près d'un point chaud.< br>
Au fond de la vallée, nous traversons l'oasis et la kyrielle de petits villages qui la composent. De part et d'autre de la piste aux ornières profondes, des enfants, toujours des enfants. Souriants, qui réclament par jeu plus que par conviction, leurs fameux stylos (en fait, ils apprennent à dire ce mot avant de prononcer le mot papa). Des femmes, lourdement chargées, des ballots impressionnants sur leur tête, ou lavant leur linge en papotant, dans l'eau de l'oued. Et toujours aussi peu d'hommes au travail. Dans les villages, deux ou trois échoppes, dont celle du boucher qui vient d'abattre un mouton qu'il entreprend de vider sous nos yeux. A côté, le forgeron qui soude sans lunettes de protection. Un peu plus loin, une boutique de téléphone, avec du monde sur le pas de la porte. La palabre file bon train. Petits signes de la main, sourires. L'air de dire : « ils sont cinglés ces Français ». Ici et là , une auberge, des chambres d'hôte (ici, on dit Gite), des restaurants. Ne vous attendez pas à des tables. Vous mangez chez l'habitant. « Dans la famille » comme on peut le lire parfois sous l'intitulé pompeux du restaurant.
A la sortie du dernier village, tout au fond de la vallée, il faut tourner à droite puis à gauche. C'est bien indiqué sur le road-book et le GPS indique bien la bonne direction. Mais le doute est permis. Des « Y », il y en a beaucoup. A cent mètres près, on peut se louper. Ca ne manque d'ailleurs pas. Alors que nous arrivons à notre tour, nous bifurquons bien à gauche, mais nous voyons Michel Podevin sur la route qui monte, à droite. « Oh, Michel, tu sais que ce n'est pas la bonne route ! » « Je sais, je sais, mais j'en ai vu monter et je me demandais s'il ne fallait pas les rattraper. » La CB va plus vite. Loin devant, Jean-Claude Gillonnier, qui mène le premier groupe et a emprunté la mauvaise route, comprend qu'il a entraîné ses ouailles dans une direction erronée. Cela dit, personne ne lui a dit qu'il pouvait s'être trompé.
Tandis qu'il fait demi-tour avec ses troupes, nous décidons de procéder à un regroupement trois kilomètres plus loin, au point 440 marqué sur le road-book. Là , nous en profitons pour déjeuner et rassembler tout notre petit monde. Nous apprenons que nos petits camarades des camions Mercedes, partis bien avant tout le monde, sont loin devant et qu'ils prennent l'apéro au bord d'un oued. On n'en attendait pas moins d'eux.
Lorsque nous repartons, c'est pour une quarantaine de kilomètres d'une piste qui serpente entre les oueds, monte, descend, passe dans des creux, remonte sur des bosses. Ca gigote dans tous les sens et les profondes ornières le disputent aux cailloux disposés anarchiquement sur le semblant de chemin que nous empruntons. Rouler dans la poussière de celui qui vous précède n'étant pas toujours très agréable, les distances entre chaque participant s'étirent. Au point qu'il doit bien y avoir 5 kilomètres entre les premiers et les derniers. Nous avons décidé de filer sur l'avant pour faire quelques photos spectaculaires et notre Gégémobile, pilotée de main de maître, quitte la piste pour doubler tout le monde et stopper au bord d'un oued très encaissé dont le franchissement est assez sportif. Bonne surprise : le test de motricité d'hier a servi de leçon et tout le monde a bien compris comment franchir ce genre d'obstacle.
Nous repartons loin derrière les deux premiers groupes, et il ne reste plus que les purs 4x4 et le Moll d'assistance à l'arrière. Comme nous les avons largement photographiés la veille, nous décidons de les abandonner pour retrouver les deux roues motrices et improviser une autre séance photos. La piste n'est franchement pas roulante, mais Gégé a l'habitude. Il slalome entre les obstacles, avale les ornières, saute les oueds. Nous avons ainsi très vite fait de retrouver le premier groupe lorsque nous entendons, à la CB, qu'un véhicule a versé à l'arrière. Nous faisons immédiatement demi tour et nous fonçons pour porter secours. Mais Daniel, François, le médecin et Jacques Valleye sont déjà sur place. Ils extraient les occupants du Land Rover (les Ducloux, Abdel et Jean-Claude Muschler) qui sont plus choqués que blessés même si Claude présente quelques petites coupures au bras (des éclats deverre). Le Land est abîmé mais encore roulant. Le pare-brise s'est envolé, le toit est enfoncé, tout le côté gauche a souffert et il faut redresser la portière passager pour la refermer. Mais en moins d'une demie-heure, le Land peut reprendre la route avec Jean-Claude au volant et Christian Nayrolles à ses côtés. Ils ont chaussé des lunettes de protection et se sont couverts chaudement, et ils reprennent courageusement la route. Nous la leur ouvrons, car il leur est évidemment impossible de lire le road-book. Nous emmenons avec nous les Ducloux, déçus, mais l'essentiel était que personne n'ait réellement été blessé.
Au fur et à :mesure de notre remontée, nous retrouvons la Colorale encore en délicatesse avec du vapor-lock, puis le Nissan de Pascal Lucas (encore un problème de pompe à essence) qui finira sur le plateau et nous doublons pour la... treizième fois le Buggy Buffalo Sarap pas si à l'aise que ça sur la piste et qui va bien mieux sur la route. Guy n'a pas encore pris ses marques sur la piste, mais ça devrait venir. Ce n'est pas le cas de Christophe Lague dont la 505 Dangel avale les difficultés sans la moindre hésitation et suit le rythme des purs 4x4. Ou même de la 403 de Pierre Maquet qui nous épate chaque jour davantage. Ou encore de la R4 de Laurent Douairon et Gilbert Tyrode qui parvient à nous suivre, sans effort apparent. Et pourtant, nous n'allumons pas le terrain parce que nous finissons par arriver dans les tout premiers au bivouac dans l'oasis Fint.
Il faut le voir pour le croire. Car après avoir quitté la route goudronnée qui va de Ouarzazate à Marrakech, nous retrouvons une piste caillouteuse qui traverse un paysage lunaire, sec, aride, aussi vierge qu'au premier jour du monde, mais balayé par un vent de sable qui déchire l'air. L'orage qui gronde au-dessus de nos têtes ne promet rien de bon. Mais alors que nous serpentons entre les roches, voilà que se dressent, sur notre gauche, d'immenses monolithes noirs, encadrés par des moutonnements de roche toute aussi noire. C'est impressionnant. On se croirait dans la vallée dans laquelle se rendent les éléphants pour mourir. En bas, l'oasis se découvre avec timidité, et l'on doit franchir un gué pou arriver au campement qui a été organisé pour nous au milieu des palmiers. Sur le sable, des tentes berbères et des tapis. Au-dessus de nos têtes de gros nuages noirs et joufflus qui ne tardent pas à cracher avec violence leur venin. La tente berbère est heureusement presque étanche parce qu'autrement, vous ne pourriez pas lire ces lignes ! A côté de moi, les participants arrivent les uns après les autres pour découvrir ce campement incroyable, les douches improvisées et les toilettes. Eau chaude s'il vous plaît, au milieu de rien. Les tables sont dressées sous des tentes autour d'une sorte de patio central. Pourvu que le temps ne vire pas à la tempête de sable... Ca ne prend le chemin, la tente vibre, se fait chahuter par le vent, les piquets plient. Mais il paraît que ces tentes-là et leur montage « souple » peuvent tenir par des vents bien plus violents. Acceptons-en l'augure.