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Jour 14 - D’El Jadida à Casa

Au petit matin, le vent est rentré dans sa coquille, mais il a laissé derrière lui comme une brume qui noie l’horizon et brouille la vision. Sur la plage, quelques cavaliers entraînent des pur-sang en de longs galops, levés sur leurs étriers, le buste à flirter avec l’encolure de leur monture. Les sabots soulèvent l’écume en de longues gerbes. Le temps est suspendu à la magie de cette image floutée, irréelle, sortie d’un rêve. Derrière l’hôtel, la R14 de Mamicha, perchée sur le plateau, vient de découvrir qu’elle a perdu un boulon d’étrier de frein. Voilà pourquoi, la veille, elle a terminé, juchée sur son radeau de ferraille. La panne bête qui sera réparée lorsque le soleil finira par percer la brume et étendre ses rayons sur une caravane guère pressée de se mettre en route. La fatigue, la perspective d’un kilométrage ridicule (moins de 100 km), et ce temps dont on mesure, chaque jour davantage, qu’il n’a pas l’air de s’écouler aussi vite que par chez nous, tout incite à traînasser, à retarder le moment du départ.

Maroc 2025

Sur la plage, l’entraînement des pur-sang.

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La R14 de Mamicha a pété un boulon…

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Avant le départ, on parle encore mécanique entre Fernando et Thierry, pas pressés de partir.

 Certains en profitent pour retourner sur leurs pas et flâner dans l’ancienne cité portugaise d’El Jadida, enserrée entre ses murailles qui dominent son petit port. De petites ruelles où déambulent des chats lymphatiques, le regard embué de souvenirs. Ici, la ville que l’on appelait Mazagan et que d’aucuns surnomment encore la perle de l’Atlantique s’est étendue tout autour de cette enclave fortifiée, jusqu’à l’étouffer. Les quelques marchands qui bordent l’artère principale traînent leur ennui sur des chaises, l’œil rivé à leur portable, hésitant à vous inciter à visiter leur boutique. « Je liquide, je liquide, il n’y a plus d’avenir ici, plus de touristes ! », disent-ils d’un ton las. 

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On entre dans la vieille ville d’El Jadida, l’ancienne cité portugaise, par des ouvertures pratiquées dans l’épaisse muraille.

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Des murailles si solides qu’elles ceinturent encore leurs ruelles. Elles datent de 1542 !

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Du haut du minaret de la grande mosquée, près de cinq siècles d’histoire vous contemplent. Orson Welles y a tourné quelques-unes des scènes de son film Othello

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Les ruelles sont vides ou presque. On n’y croise guère que des participants…

 Il faut bien reconnaître que nous nous sentons bien seuls à nous croiser dans l’espoir de trouver la citerne portugaise, un réservoir fermé depuis le Covid et l’effondrement d’une partie de sa voûte. L’endroit est exceptionnel, mais voilà, il ne se visite plus. Trop dangereux. Un panneau vous le rappelle, des travaux vont être entrepris. Quand ? Un jour, peut-être. Ici, le temps est une denrée qui ne se déguste pas de la même manière selon que vous êtes riche ou pauvre. El Jadida est pauvre. Du moins l’ancienne cité. Et il y a tant à faire dans ce pays. Construire des stades de football pharaoniques pour une Coupe du monde de football qui se tiendra en 2030, des routes pour que de plus en plus de touristes découvrent l’Atlas et ses merveilles ou des résidences sécurisées le long de la côte Atlantique. Il en pousse comme des champignons, à côté de chantiers abandonnés. Les mauvaises langues murmurent que les promoteurs n’ont pas assez donné… En face, les oubliés de cette croissance forcenée, de ce bétonnage pour les nantis du régime et leurs amis, pour les Européens qui s’y cachent et y viennent un mois ou deux dans l’année. En face, la population qui vit avec peu, parfois avec rien, et qui attend dans des gourbis qui n’ont rien à envier à ceux du sud. Elle attend et elle espère. Un jour, elle aussi, elle récoltera quelques fruits de cette manne qui s’étale devant ses yeux étonnés. Parce que son temps viendra. 

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Pourtant, le spectacle est magnifique du haut des remparts.

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Même le vieux four dans lequel on venait cuire son pain et ses tajines a renoncé, aujourd’hui, à ronfler. On m’a pourtant assuré qu’il fonctionnait encore. Mais je doute.

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La citerne portugaise est fermée aux visites. Dommage…

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Même les chats semblent s’ennuyer, à ne pas même essayer d’attraper un goéland tout aussi lymphatique.

Pas aujourd’hui, pas sur cette route des contrastes qui mène à Casablanca, le poumon économique du pays. Une ville devenue un monstre aux multiples tentacules qui la redessinent chaque jour pour l’agrandir démesurément. On l’aperçoit de loin, baignée de brume. Mais celle-ci n’a rien à voir avec celle du matin. C’est la pollution qui monte de ses entrailles labourées par des milliers d’automobiles à touche-touche, avançant au rythme de leurs klaxons féroces, comme énervés par la lenteur qui s’empare d’une circulation bien trop dense. Ici, le temps s’accélère et vous entraîne dans une course effrénée à la perte de vos dernières illusions. Le progrès doit-il conduire à cette perte d’âme, à cette folie qui voit des immeubles pousser comme des champignons, ces cathédrales de fer s’élever vers le ciel sombre pour gruter leurs charges en un ballet au rythme saccadé ? Le temps, mais aussi le monde tel qu’il est. On passe d’un niveau de vie qui parfois flirte avec le néant à l’abondance et aux prix les plus fous. Le taxi que l’on payait 50 Drh à Meknès en demande 300. La bouteille d’eau passe de 50 centimes à un euro, quand elle n’atteint pas les 3,50 €. Il n’y a guère que dans les petits troquets, cachés dans les ruelles sans âge, que l’on peut encore manger un couscous à un prix habituel dans le reste du pays. La brume du matin ne nous préparait pas à ça. Bienvenue à Casablanca, dont l’énergie folle m’épuise tout à coup…

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Des résidences sécurisées poussent le long de la route côtière, surtout côté ouest.

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En face, la population vit encore dans des gourbis, avec le spectacle du monde qui leur est, pour l’instant, refusé…

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Il en est, cependant, qui tirent leur épingle du jeu. Nombre de tapissiers ont ainsi élu domicile le long de cette route. 


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