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Jour 12 - Casablanca / Tanger

Les meilleures choses ont une fin. Ce matin, le réveil était difficile. Sous la pluie et alors que le jour n'est pas encore levé. Il nous reste 330 km à parcourir sur le territoire marocain avant d'embarquer à Tanger. Et peu de temps. Nous avons rendez-vous sur la route de l'aéroport à 12h pour nous regrouper avant de gagner le port. Pour tous, c'est autoroute obligatoire entre Casa et Tanger. Une autoroute bien encombrée jusqu'à Khenitra, avec un passage toujours aussi délicat autour de Rabat. Pas le temps d'admirer le paysage, il faut tracer. Tout juste nous offrons-nous une halte pour prendre un petit café. Mais comme d'habitude, si nous arrivons tôt au port (14h pour un départ prévu à seulement 21h locales), ce sera pour devoir supporter les douces joies de l'incompétence. Pas locale, non. Cette fois les formalités policières et douanières sont expédiées en moins de 10 minutes. C'est notre agence, Biladi Voyages, qui a fait du grand n'importe quoi, « oubliant » de transmettre les numéros de passeport et numéros d'immatriculation à la compagnie maritime pour préparer son manifeste. Du coup, nous devons récupérer tous les passeports et les cartes grises pour remplir les blancs. 168 personnes et 73 véhicules, ça demande un peu de temps. Alors le responsable du poste de la Comarit pète un câble, s'énerve, appelle tous azimuths, envoie tout valdinguer dans l'Algeco qui sert de bureau. Il monte d'autant plus dans les tours que je reste d'un calme olympien. Pire, plus il s'excite, plus zen je deviens. J'applique la technique du scarabée mongol face à la danse électrisante de la fourmi tatare. Déstabilisé, il finit par ralentir son débit de paroles et parvient enfin à entendre ce que je lui susurre de plus en plus doucement. « Je l'ai la liste. Deux solutions : on remplit les blancs ou je te laisse la liste et tu feras ça après ». « Tu as la liste ? Mais pourquoi tu ne le disais pas ? » Je souris. Derrière, ses employés se marrent et l'un d'eux suggère de s'occuper de moi. Très vite, nous devenons de joyeux complices et remplissons les cases vides pour éditer les billets d'embarquement. Mais ça prend du temps, et le Comaritman monte à nouveau dans les tours. Il semble que nous mettions en retard l'embarquement car toutes nos autos sont en tête... Alors nous décidons que les numéros de passeport, ça ne sert à rien. Et qu'il suffit que les immats soient bonnes pour que le manifeste ait de la gueule... Comme je l'ai déjà expliqué au responsable, la liste des passagers est juste, celle des autos aussi. Il n'y a donc pas de problème.
Dans le même genre, l'embarquement des camions a été surréaliste. Ils devaient être là à midi pour passer au scanner, afin de détecter l'éventuelle présence de clandestins. Trois heures d'une longue procédure qui ne sert à rien car une fois le scanner passé, les camions doivent sortir du port pour y revenir. Du grand n'importe quoi, mais il faut en passer par là.

L'embarquement a, également, été particulièrement artistique. D'habitude, il faut une carte pour la voiture et un billet par passager. Mais comme nous n'avions pas terminé de les éditer lorsque l'embarquement a commencé, tout le monde est monté à bord sans rien ! Comme quoi, on peut s'arranger avec tout. Et c'est dans le salon-bar, une heure plus tard, que nous avons distribué les cabines. L'essentiel, c'est que tout le monde soit bien là et que la mer soit calme. Nous avons tous besoin d'une bonne nuit de repos après les émotions de ces dix jours. Sur le bateau, nous sommes revenus à l'heure française. Une première étape dans notre retour vers la routine. Les regards sont un peu perdus dans le vague. Dans les couloirs du bateau, on se sourit en se croisant, on se tape sur l'épaule sans se dire un mot, les mots ne peuvent plus exrpimer avec suffisamment de force l'émotion. C'est fini. Ne restent plus que des images fortes, des souvenirs, des anecdotes et quelques babioles ramenées des souks ou d'un échange avec un petit gamin sur le bord des pistes du Grand Sud, dans ce no-man's land où les touristes sont si peu nombreux qu'ils sont accueillis comme des frères que l'on n'a pas vu depuis longtemps. Quelques conversations avec des locaux resteront sans aucun doute dans les mémoires, comme cette incroyable discussion que j'ai eu avec un des gendarmes restés pour nous protéger au deuxième bivouac sur les différences d'interprétation d'un même événement entre la Bible et le Coran. Là, sous la lune blafarde, assis sur une pierre. Lui avec son fusil sur les bras, moi avec un verre de whisky, sous le regard bienveillant des étoiles.et alors qu'un scorpion noir passe devant nous, queue dressée, tricotant de ses patounes pour dessiner sur le sable une belle arabesque. « Tu vois mon ami, me fait le gendarme Moulay en me le montrant, l'homme est comme le scorpion. Fier, la queue dressée, piquant pour défendre sa vie. Mais il existe toutes sortes de scorpions, des noirs, des blancs, des jaunes, des agressifs et des doux qui n'attaquent jamais en premier. Celui-ci fait partie des doux. Tu peux le prendre dans la main, il ne te piquera peut-être pas. Ou peut-être que si, inch Allah. Tu peux choisir de l'écraser parce que tu as peur de lui, ou le laisser vivre. Et qui sait, un jour il te sauvera en piquant ton ennemi, ou il te piquera en oubliant que tu l'as épargné... » Il sourit et hoche doucement la tête. « Ce n'est pas parce que nous sommes différents que nous ne sommes pas semblables. » Là-dessus, il se lève et il part prendre son tour de garde, me laissant avec cette parole qui résonne encore dans ma tête. Et si c'était cela que nous venions chercher dans le désert ?

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