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Jour 10 - Tafnidilt / Essaouira

Le délateur fou, le retour ! Après une journée de route reposante malgré le kilométrage élevé pour les pistards (Tafnidil - Essaouira : 500 bornes !), nous voici posés. Le cul bien enfoncé dans de confortables fauteuils, une petite mousse à la main, douchés, rasés de près, sentant bon le patchouli et le chinchilla (l'assistance bosse... Elle en a pour une bonne partie de la nuit). Nos galériens de la veille font belle figure face aux routiers qui, eux, ont passé trois journées paisibles, à profiter du soleil et des plaisirs de la côte, à déguster de bons petits plats dans de petites gargottes qui ne payent jamais de mine mais servent d'excellentes et odorantes tajines. Les retrouvailles sont d'autant plus chaleureuses qu'ils ont vécu une partie de nos aventures via le net et les rares SMS que nous avons pu envoyer pour les tenir au courant des péripéties du jour.

Pour satisfaire leur curiosité et la vôtre, je m'en vais vous conter deux ou trois petites anecdotes tandis que les réparations s'activent, à quelques mètres de moi, le but étant de rendre roulantes toutes les autos blessées dans leur chair. Or donc, tout a commencé au petit matin, alors que le soleil pointait quelques timides rayons sur notre campement. Petits yeux groggys, douces plaisanteries (Guéguette n'a pu s'empêcher de réveiller le Chef en lui balançant un verre d'eau alors qu'il dormait encore à poings fermés), café bouillu, toilette de chat, pliage de tente (ah les Quechua, nous sommes tous devenus des spécialistes, grâce à Corinne qui, il est vrai, a suivi un stage chez Décathlon, pendant six mois m'a-t-on insidieusement susurré, une heure affirme-t-elle, la vérité devant se trouver entre ces deux extrêmes), arrimage des bagages et nous voilà partis. Mouais, sauf que, la veille, le groupe s'était scindé en deux, une centaine de mètres nous séparant, certains préférant être au bord de la piste, d'autres plus à l'abri du vent sur une surface un peu plus dure que le sable, derrière la montage. Et dans la première fournée, se trouvaient nos deux ouvreurs. Du coup, lorsque nous donnons le signal du départ, plus d'ouvreur. Et nous nous apercevons que, dans notre groupe, nous ne sommes qu'une poignée à avoir un GPS avec les points de l'étape. Pas de panique. Daniel pique le GPS de Camille (vous verrez que ça aura une conséquence) et va jouer les voitures balais dans le Land de Jean-Claude, et moi je vais ouvrir, suivi immédiatement comme mon ombre par Rommel (il y a pire comme situation, un Maréchal qui vous colle aux fesses !), les Gougot et la meute, motards y compris. Le début est très roulant, le sable étant vite remplacé par du caillou et de la poussière. Mais la piste joue à cache-cache. D'abord après une large étendue bien portante, les traces montrant que le premier groupe a dû bien jardiner avant de trouver la sortie. Moi, je la joue au cap, comme les motards qui me dépassent et filent droit devant, suivant leur GPS et pouvant couper là où nous devons parfois suivre des traces, de véritables ornières. Ca roule tellement bien qu'au premier arrêt pour regrouper tout le monde et vérifier que personne ne manque à l'appel, nous pensons être à Tafnidilt pour déjeuner. « Aux chiottes les saladettes ». La clameur monte dans le ciel d'un bleu limpide, la perspective d'une grillade de mouton ou de dromadaire excitant les appétits.

Nous repartons le cœur léger, l'estomac déjà en phase de pré-digestion pour préparer la place nécessaire au gueuleton mais 200 mètres plus loin, le point GPS m'échappe. « Elle est où la piste à droite indiquée ? » Pas de pistouille, pas la plus petite trace. Aurait-elle bougé ? Dans ce décor rugueux où la caillasse le dispute aux rares brin d'herbes et résineux, ce serait surprenant. Je me souviens alors que le tracé a été dessiné sur carte. Je stoppe donc la colonne une nouvelle fois pour partir en éclaireur et chercher la fameuse piste indiquée. Je la trouve, à 800 mètres de là. De nombreuses empreintes de pneumatiques attestent que d'autres l'ont emprunté récemment. Je fais demi-tour, rameute mes ouailles et nous repartons, tout ragaillardis. Nous remontons en fait vers le nord, pour rejoindre la mythique piste de Tilgite, maintes fois empruntée par le Dakar, sur son tracé le plus facile (nous, nous la terminerons par sa partie la plus dure, comme quoi les Dakaristes sont de petits joueurs). Et là, c'est caillou, caillou, caillou. Ni hibou, ni genoux. Caillou tout seul. Ou plutôt des milliards de cailloux, la piste zigzaguant entre les oueds dont nous empruntons parfois le lit, que nous traversons le plus souvent, à la limite du franchissement. Les parties roulantes deviennent rares et le convoi s'étire au point qu'à un « Y » certains ne voient plus ceux qui les précédaient, s'engageant à gauche alors qu'il fallait tirer tout droit. Heureusement, l'un d'eux a la présence d'esprit de signaler sa bifurcation à la CB et il est vite remis dans le droit chemin avec ceux qui l'avaient suivi. Sans GPS, c'est vraiment difficile, les départs de piste étant légion. Pour l'anecdote, c'est lors de cet arrêt inopiné que je découvre que j'ai crevé une roue et que l'autre a entamé le processus de la crevaison lente. On change donc la roue malade et je surgonfle l'autre, « Inch Allah ». Lorsque nous repartons, nous avons déjà perdu beaucoup de temps et l'espoir de rallier l'étape pour déjeuner s'éloigne, au grand dam de nos estomacs qui rappelle aux « turistamaniaques » qu'il ne faut pas jouer avec eux... Pour ne rien arranger, sur le plateau, nous découvrons la Renault 4 de Jean-Jacques Hervier, abandonnée avec ses occupants, mais soutenue par sa maman-poule, Gilles Viet et son Range. Support d'amortisseur inférieur cassé. Facilement réparable, mais le matériel est dans les camions, derrière et nous prenons la décision de le monter sur le Moll. Opération rondement menée, mais qui nous prend malgré tout trois bons quart d'heure.
Lorsque nous repartons, nous commençons même à nous demander si nous ne terminerons pas de nuit à ce rythme. Mais bon, nous sommes très vite revigorés car en déboulant sur la piste de Tilgite, nous découvrons une portion extraordinairement roulante qui nous permet de tenir un bon 80-90 km/h. C'est là que les gars du Dakar déboulent à 200. « C'est donc ça la piste maudite ? » Au début, oui. Sur 30 bons kilomètres. Nous rattrapons ainsi très largement notre retard et l'espoir d'une arrivée diurne remonte de plusieurs crans. Mais comme il est déjà 13h passés, nous décidons de nous restaurer et nous ressortons nos satanés saladettes pour manger sur le pouce un petit morceau, histoire de poursuivre avec un estomac moins vide. Et c'est à partir de là que tout va se gâter. Daniel est parti devant pour tenter de rejoindre le premier groupe. Il est suivi des 4x4 les plus rapides, dépourvus de GPS. De près le suivent les trois 2CV des Richaume, Perrault et Esnault (au fait, c'est celle des Perrault qui a le châssis vrillé, j'étais vraiment fatigué hier au soir !), puis les Colorale de Guillaume et Thierry, la Renault 4 des Zupancic, la Jeep des Walther et les deux Iltis, moi fermant la marche. Derrière nous ne restent que les trois camions. Tout baigne...
Mais le rythme, certains ne peuvent le suivre et ils sont rapidement distancés. On leur a dit de poursuivre plein ouest, ils y vont franco. Sauf que la Renault 4 des Zupancic décide une nouvelle fois de faire des siennes. Bras de suspension tordu (toujours le même, il le fait manifestement exprès). Les Colorale et la Jeep sont à ses côtés, contemplant la bête grièvement blessée, une papatte en l'air, ses occupants versant une larme de compassion. Que faire ? Pas de panique. Derrière arrive le Berliet. Nous ferons de la place dedans pour y monter la 4L et elle pourra ainsi rallier l'arrivée pour y être réparée. « On reste avec eux où on y va ? » demandent les compagnons des Zupancic. « Non, allez-y, on ne peut se permettre de prendre du retard ». Les adieux sont déchirants. On s'embrasse, on se promet de se revoir au plus tôt, autour d'une petite mousse. Mais le fait est là, les frères Zupancic se retrouvent seuls au bord de la piste, et nous les abandonnons sans le moindre remords. Ils vont alors vivre des heures difficiles. Ce que nous ne savons pas alors, c'est que le RVI a crevé. Et changer une roue sur ce genre d'engin, ça prend une bonne heure ! « Nous avons cru notre dernière heure arrivée, racontent les Zupancic. Nous nous sommes alors rappelés les bandes dessinées que nous lisons. Pour survivre, on en voyait qui buvaient leur urine, se mangeaient des parties du corps, suçaient des cailloux,... Se manger entre frangins ? Brrrr... Mais à la guerre comme à la guerre, n'est-ce pas ? » Le tout raconté avec leur délicieux accent slovène. A mourir de rire. Heureusement, cette dernière extrémité est restée pure hypothèse d'école car les camions ont fini par arriver et découvrir nos deux abandonnés. Le temps de débarrasser le Berliet, de préparer les rampes et voilà notre équipée prête à repartir. A un détail près. Où caser les occupants de la 4L ? Les cabines sont déjà pleines... Ne reste plus que... la 4L des Hervier, sur le Mol. Je vous laisse imaginer le spectacle sur une piste qui vous fait sauter dans tous les sens, avec la nuit qui va bientôt tomber. L'un accroché à tout ce qu'il peut, l'autre au volant, donnant même des coups secs ou appuyant avec force sur la pédale de frein, croyant pouvoir influer sur le cap pris par le camion ! Du délire...
A l'avant, ou plutôt à l'arrière du convoi, je ne me doute pas un instant de ce qu'il se passe derrière et je poursuis mon rôle de ramasse-miettes, en compagnie du deuxième Iltis (notre équipage 100% féminin, Guéguette et Titine) pour retrouver les 2CV, le camion des Degrémont (tiens, il était passé où celui-là ?) avec une moto et l'Iveco et enfin le groupe des Colorale et de la Jeep, égarés sur une mauvaise piste. Il est déjà 16h passées, et la piste ne s'arrange pas. Je dirais même plus, elle empire de pire en pire. Vitesse moyenne : 5 km à l'heure ! Et il nous reste plus de 30 km à faire. Ca promet. Secoués comme des pruniers, jetés d'un bord à l'autre, les bagages en vrac, nous ressemblons à des fêtus de paille un jour de tempête. Mais nous tenons bon, serrons les dents et avançons sans mollir (ce serait difficile, tellement c'est dur). Par moments, le caillou cède la place à du sable tassé mais raviné par les pluies diluviennes d'il y a une semaine (il paraît que, de mémoire de Marocain, on n'en avait pas vu d'aussi fortes depuis un demi siècle). Le terrain ressemble donc à du saute-mouton. Ce n'est pas mieux. Par moments, heureusement, on bénéficie de quelques portions un peu plus roulantes, mais à ce rythme, ça ne va pas le faire. Alors, je prends une décision : sur la carte, je repère une piste transversale qui peut nous faire gagner dix kilomètres. C'est osé car en rallye on doit toujours suivre le road-book ou au moins le tracé prévu pour, en cas de problème, pouvoir être retrouvé, mais vu l'état de ceux qui nous suivent (la 2CV des Perrault a le châssis tordu), ces dix bornes de moins ne seront pas du luxe. Je nous engage donc sur ce parcours, d'une incroyable dureté sur les deux premiers kilomètres, au point que j'en viens à regretter ma décision. Mais je n'ai pas le temps d'envisager le retour. D'un coup d'un seul, la piste se dégage et devient hyper roulante. Les mètres défilent, les hectomètres s'enchaînent, les mécaniques et les hommes se reposent. C'est presque du billard et nous finissons par sortir de la piste sur la route de Tantan, à 3km de l'arrivée de l'étape où nous retrouvons les Bour qui ont eu la même idée.

Il fait cependant nuit lorsque nous arrivons sur place, mais tout le monde est là. Sauf les camions qui, à cet instant, sont... trois heures derrière nous ! Avec un seul GPS pour trois, pas de radio (elles reçoivent, mais ne parviennent plus à émettre), pas de téléphone satellite, rien... Imaginez leur angoisse avec la nuit tombante, ballottés (nous, ce n'est rien par rapport au calvaire que l'on peut vivre dans un camion et je ne vous parle pas des Zupancic), ne sachant pas si la direction est la bonne, suivant l'unique GPS du groupe (« et s'il se trompait ? »)... De notre côté, nous décidons d'envoyer Jean-Pierre et Hervé à leur rencontre, en espérant qu'ils puissent faire la jonction et les guider par le raccourci. Ce qu'ils feront pour nous les ramener à 21h passées. Epuisés mais sous les vivats. Quand je pense que nous pensions arriver à midi ! Mais la piste, c'est ça, on ne peut jamais rien prévoir à l'avance, et le plus petit des retards peut en entraîner de biens plus importants. Là , nous avons été gâtés. C'est aussi comme cela que cela devient une étape d'anthologie comme précédemment notre nuit du réveillon à Douz ou le passage des dunettes du Tunisie 2006 ou l'étape de l'Erg Lihoudi en 2007. Les plus belles pages d'une légende s'écrivent avec ces petits bouts d'épopée...

Petit post-scriptum, façon délateur zélé : le poussin de Bascunana, Flavien, en a manifestement eu marre de sa maman-poule. Figurez-vous qu'il en a écrasé une sur la route. Pour de vrai. Il a voulu la rendre à son propriétaire, mais celui-ci a refusé, disant qu'il n'avait pas de... « poule plate ». Bon, c'est Jean qui m'a raconté l'histoire, je crains qu'il n'ait un peu enjolivé l'histoire.

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